C’est l’heure du jugement particulier. Nous nous présentons devant Dieu. Ce Dieu ne nous est pas inconnu. "Qui m’a vu a vu le Père", dit le Seigneur à Philippe qui venait de lui demander : "Montre-nous le Père, et cela nous suffit" [1]. Ce Dieu, le "Juste Juge" comme l’appelle l’Écriture [2], nous savons qui il est : "Dieu est Amour" [3], "riche en miséricorde" [4]. Il nous a promis : "Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde" [5]. « J’ai dû sourire à vous entendre parler des « comptes » que vous demandera notre Seigneur. Non, pour vous tous, il ne sera pas un juge, au sens austère du mot. Il sera simplement Jésus. » — Ces mots, écrits par un saint évêque, qui ont consolé plus d’un cœur en tribulation, peuvent parfaitement consoler le tien" [6].
Cette rencontre avec le Christ Sauveur, comment l’imaginer. Saint Josémaria, le fondateur de l’Opus Dei, pensait que quelqu’un s’approchait de nous par derrière, nous donnait un petit coup sur l’épaule. Nous nous retournions alors et avions l’immense surprise, la joie incommensurable de voir que c’est Dieu qui est là. La joie de Marie-Madeleine au matin de Pâques (dont la liturgie nous a été présentée par Jean-Claude Moreau), quand elle reconnaît Jésus au son de sa voix : "Myriam !" Elle, se retournant, lui dit en hébreu : "Rabbouni !" [7]. C’est ce Jésus qui a déclaré : "Quand je vous aurai préparé la place, je reviendrai et je vous prendrai auprès de moi, afin que là où je serai, vous soyez, vous aussi" [8].
"On n’est jamais exclu du salut si l’on se soumet docilement aux exigences amoureuses du Christ, si l’on naît de nouveau [9], si l’on se fait semblable aux tout-petits, en toute simplicité d’esprit [10], si l’on écarte de son cœur ce qui l’éloigne de Dieu [11]. Jésus ne veut pas seulement des paroles [12], Il veut aussi des actes, et des efforts courageux, car seuls ceux qui luttent mériteront l’héritage éternel [13]" [14]. Si nous avons fait chaque soir notre examen de conscience, si nous nous sommes confessés régulièrement, le jugement en question ne nous apportera aucune surprise désagréable. Il sera comme une ultime confession, une confession générale définitive, qui scelle notre destin pour l’éternité. Mais soyons bien conscients maintenant que "tempus breve est ! [15], que la durée de notre passage sur terre est brève ! Ces mots retentissent au plus profond du cœur de tout chrétien cohérent, comme un reproche face à son manque de générosité, et comme une invitation constante à la loyauté. Il est vraiment court le temps que nous avons pour aimer, pour offrir, pour réparer. Il n’est donc pas juste de le gaspiller, ni de jeter de façon irresponsable ce trésor par la fenêtre" [16].
Contemplons donc le visage du Christ, alors qu’il encore temps de le faire, car, "en contemplant ce visage, nous nous préparons à accueillir le mystère de la vie trinitaire, pour faire l’expérience toujours nouvelle de l’amour du Père et pour jouir de la joie de l’Esprit Saint. Se réalise pour nous la parole de saint Paul : "Nous reflétons tous la gloire du Seigneur, et nous sommes transfigurés en son image, avec une gloire de plus en plus grande, par l’action du Seigneur qui est Esprit" [17]"Jean-Paul II, lettre ap. Rosarium Virginis Mariæ, 10 octobre 2002, n° 9. C’est ce visage que nous contemplerons désormais, un visage d’une extraordinaire Bonté. Nous atteindrons à ce moment précis le degré de gloire que nos œuvres nous auront valu, redonnant son lustre à l’image et la ressemblance de Dieu selon lesquelles nous avons été créés [18].
"Le jour de la mort inaugure pour le chrétien, au terme de sa vie sacramentelle, l’achèvement de sa nouvelle naissance commencée au Baptême, la "ressemblance" définitive à "l’image du Fils" conférée par l’Onction de l’Esprit Saint et la participation au Festin du Royaume qui était anticipée dans l’Eucharistie, même si d’ultimes purifications lui sont encore nécessaires pour revêtir la robe nuptiale" [19].
Ce qu’il importe de bien comprendre, c’est qu’il existe bien un jugement, porté par nous-même, à partir de tout ce que nous avons fait ou omis de faire sur terre. Mais ce jugement est irréversible. Il n’y a pas d’appel ni de pourvoi en cassation possible. Au moment de notre mort, nous sommes jugés par Dieu sur toute notre vie : pensées, paroles, actions et omissions. "La mort met fin à la vie de l’homme comme temps ouvert à l’accueil ou au rejet de la grâce divine manifestée dans le Christ [20]. Le Nouveau Testament parle du jugement principalement dans la perspective de la rencontre finale avec le Christ dans son second avènement, mais il affirme aussi à plusieurs reprises la rétribution immédiate après la mort de chacun en fonction de ses œuvres et de sa foi. La parabole du pauvre Lazare [21] et la parole du Christ en Croix au bon larron [22], ainsi que d’autres textes du Nouveau Testament [23] parlent d’une destinée ultime de l’âme [24] qui peut être différente pour les unes et pour les autres.
Chaque homme reçoit dans son âme immortelle sa rétribution éternelle dès sa mort en un jugement particulier qui réfère sa vie au Christ, soit à travers une purification [25], soit pour entrer immédiatement dans la béatitude du ciel [26], soit pour se damner immédiatement pour toujours" [27]. Comme le déclarait le pape Benoît XII, auquel le Catéchisme se réfère ici, "après la mort et avoir purgé nos fautes, nous aurons une vison intuitive et faciale de l’essence divine - sans le recours d’aucune créature - mais l’essence divine se présentera à nous immédiatement nue, claire et ouvertement, de sorte que nous jouirons de l’essence divine (...). Cette vision et cette fruition continueront sans interruption aucune jusqu’au jugement dernier et, ensuite, pendant toute l’éternité" [28].
Notre foi catholique nous dit clairement que l’âme qui passe en jugement se trouve face à une double voie : celle qui conduit au ciel et celle qui mène en enfer, la première comportant un accès détourné, le purgatoire. La parabole, déjà évoquée, du riche qui banquetait à qui mieux mieux tout en restant indifférent au pauvre Lazare qui se trouvait à la porte de son palais, montre bien le caractère définitif de la sentence. "Abraham dit : "Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens durant a vie, et Lazare pareillement ses maux. Maintenant il est consolé ici, et toi, tu souffres. De plus il a été établi un grand vide entre nous et vous, de sorte que ceux qui voudraient passer d’ici chez vous ne le pourraient pas, et ceux de là-bas ne traversent pas non plus pour venir à nous" [29].
Avec la mort, non seulement nous quittons ce monde, mais nous sortons du temps, dans lequel s’inscrit la liturgie, pour entrer dans ce que les théologiens appellent l’aevum ou éviternité, c’est-à-dire une "durée sans fin". Mais il est temps d’expliquer ces différents états de l’âme dans l’au-delà et les événements de la fin des temps. Nous en venons donc à l’eschatologie collective.
[1] Jn 14, 8-9
[2] 1 R 24, 16 ; 2 Tm 4, 8
[3] 1 Jn 4, 16 ; cf. Benoît XVI, enc. Deus Caritas est
[4] Ep 2, 4 ; cf. Jean-Paul II, enc. Dives in misericordia, 30 novembre 1980
[5] Mt 5, 7
[7] Jn 20, 16
[8] Jn 14, 3
[9] Cf. Jn 3, 5
[10] Cf. Mc 10, 15 ; Mt 18, 3 ; 5, 3
[11] En vérité je vous dis qu’il sera difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux (Mt 19, 23
[12] Cf. Mt 7, 21
[13] Le royaume des cieux s’obtient par la force et ceux qui luttent le gagnent (Mt 11, 12)
[14] Saint Josémaria, Quand le Christ passe, n° 180
[15] 1 Co 7, 29
[16] Saint Josémaria, Amis de Dieu, n° 39
[17] 2 Co 3, 18
[18] Cf. Gn 1, 26
[19] Catéchisme de l’Église catholique, n° 1682
[20] Cf. 2 Tm 1, 9-10
[21] Cf. Lc 16, 22
[22] Cf. Lc 23, 43
[23] Cf. 2 Co 5, 8 ; Ph 1, 23 ; He 9, 27 ; 12, 23
[24] Cf. Mt 16, 26
[25] Cf. Concile de Lyon, DS 857-858 ; Concile de Florence, DS 1304-1306 ; Concile de Trente, DS 1820
[26] Cf. Benoît XII, DS 1000-1001 ; Jean XXII, DS 990
[27] Catéchisme de l’Église catholique, n° 1021-1022
[28] Benoît XII, const. Benedictus Deus, 29 janvier 1336
[29] Lc 16, 25-26