III. Le Pontife universel
La dernière partie de notre exposé traite du pape en tant que « Pontife universel ». J’ai retenu cet intitulé pour la commodité du propos. Mais il va sans dire que toute l’action du pape est universelle, étant donné que l’Église catholique est universelle, par fondation et par vocation, notion qu’exprime le mot catholique en grec. Toute son activité vise à porter le message de l’Évangile jusqu’aux extrémités de la terre et doit s’exerce en tenant compte du « salut des âmes » en tant que principe fondamental (cf. Code de Droit canonique, c. 1752 et dernier).
J’entends parler ici brièvement de deux aspects particuliers de cette universalité, à savoir l’œcuménisme et le dialogue interreligieux.
A) L’œcuménisme
Recevant le clergé de Rome en mars dernier, Benoît XVI a souligné que le ministère fondamental du successeur de Pierre consiste « à garantir cette catholicité qui implique la multiplicité, la diversité, la richesse de cultures, le respect des diversités et qui, dans le même temps, exclut l’absolutisation et les unit toutes, les oblige à s’ouvrir, à sortir de l’absolutisation de soi pour se trouver dans l’unité de la famille de Dieu que le Seigneur a voulue et pour laquelle il garantit le successeur de Pierre, comme uni dans la diversité » (au Clergé de rome, mars 2009).
L’œcuménisme est un mouvement en vue de l’union entre tous les chrétiens, union mise à mal par le schisme des Églises d’Orient en 1054, par le mouvement de la Réforme engagé en 1517, et par d’autres déchirures de moindre envergure.
Des esprits chagrins soit regrettent la démarche œcuménique, qui leur semble trahir le dépôt de la foi catholique, soit estiment que les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur des espoirs. Or, tel n’est pas le cas, si l’on veut bien examiner objectivement les faits.
Certes, il convient de regarder au-delà des gestes spectaculaires, comme la levée réciproque des excommunications entre catholiques et orthodoxes par le pape Paul VI et le patriarche Athénagoras, ou l’imposante cérémonie de repentance du 12 mars 2000 pour les fautes commises par des catholiques dans le passé.
Dans l’encyclique Ut unum sint, « qu’ils soient un », du 25 mai 1995, le pape Jean-Paul II a demandé des suggestions pour un exercice de la primauté pontificale qui permettrait de progresser dans la voie de l’unité.
Si des avancées ont été réalisées, qui permettent une meilleure connaissance mutuelle et un accord sur des aspects débattus de la doctrine théologique, il serait souhaitable que cela puisse passer du débat entre spécialistes à la vie des communautés chrétiennes.
1. Les catholiques séparés
À vrai dire, le premier œcuménisme est celui qui concerne les catholiques qui se sont séparés peu ou prou de l’Église catholique en ne reconnaissant pas pleinement l’autorité du Pontife romain ni l’intégralité de l’enseignement magistériel, notamment certains aspects du dernier Concile œcuménique Vatican II.
Un organisme de la Curie romaine, la Commission pontificale Ecclesia Dei, a été créé en 1988 par le motu proprio du même nom, publié par le pape Jean-Paul II à la suite du sacre d’évêques non reconnus par l’Église au sein de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (cf. DC 85 (1988), p. 788-789). Ses compétences ont été élargies en juillet 2007, et lui confèrent celles d’un dicastère romain. Toutefois Benoît XVI l’a rattachée en mars 2009 à la Congrégation pour la Doctrine de la foi.
La commission vise à faciliter la pleine communion ecclésiale des prêtres, séminaristes, religieux et religieuses vivant ou non en communauté, liés ou non à la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X fondée par Mgr Lefebvre, et qui désirent rester unis au Successeur de Pierre dans l’Église catholique, tout en conservant leurs traditions spirituelles et liturgiques. L’administration apostolique personnelle Saint-Jean-Marie Vianney érigée en à Campos, au Brésil, dépend d’Ecclesia Dei, ainsi que nombre de communautés, commes les abbayes Sainte-Madeleine du Barroux ou Notre-Dame de Randol, ou encore la Fraternité saint Vincent Ferrier.
Le 8 septembre 2006, la Commission Ecclesia Dei prenait un décret créant l’Institut du Bon Pasteur, avec une paroisse personnelle à Bordeaux, ayant vocation d’accueillir dans l’Église catholique des prêtres issus de la Fraternité Saint-Pie X (cf. DC 103 (2006), p. 970).
Dans une lettre adressée, le 15 décembre 2008, au cardinal Dario Castrillon Hoyos, président de cette même commission pontificale, Monseigneur Bernard Fellay, au nom des trois autres évêques consacrés en même temps que lui le 30 juin 1988, a sollicité la levée de l’excommunication latæ sententiæ déclarée officiellement par un décret du Préfet de la Congrégation pour les évêques du 1er juillet 1988. L’excommunication est la censure ou peine ecclésiastique la plus sévère, infligée pour de très graves délits. Elle « empêche la réception des sacrements et l’exercice de certains actes ecclésiastiques, et (son) absolution, par conséquent, ne peut être accordée (...) que par le pape, l’évêque du lieu ou des prêtres autorisés par eux » (Catéchisme de l’Église catholique, n° 1463). Pour les délits les plus graves, dès leur commission, l’excommunication est latæ sententiæ, « de sentence [déjà] prononcée » autrement dit automatique. Cette sanction a été levée pour les intéressés avec effet à compter du 21 janvier 2009. C’est la seule nouveauté apportée par la décision. La situation de ces évêques, de leurs prêtres et de leurs fidèles par rapport à Rome demeure inchangée. Par une démarche sans précédent, le pape Benoît XVI a adressé une lettre aux évêques et aux prêtres de France pour expliquer et justifier sa décision d’essayer de faire revenir dans le giron de l’Église catholique une communauté qui ne comprend pas moins de 491 prêtres, 215 séminaristes, 6 séminaires, 88 écoles, 2 instituts universitaires, 117 frères, 164 sœurs et des milliers de fidèles.
D’autre part, dans le domaine liturgique, la troisième « édition typique » ou officielle du Missale romanum, « missel romain » en latin, est approuvée par le pape le 10 avril 2000. La lettre donnée motu proprio Summorun Pontificum, du 7 juillet 2007, généralise la célébration de l’unique rite latin de la messe sous une forme ordinaire et une forme extraordinaire.
2. Le monde orthodoxe
L’ouvrage de Denis Lensel, « Nous lui devons la liberté ! » La main tendue de Jean-Paul II à l’Est (Paris, Salvator, 2008), se veut un témoignage éloquent des progrès dans le domaine des relations entre l’Église catholique et le monde orthodoxe, notamment avec le patriarcat de Moscou. Les tensions existantes sont dues, entre autres, à des questions historiques qui ne remontent pas exclusivement au XVe siècle, mais aussi à un passé nettement plus récent dont les hiérarques ont du mal à se déprendre.
L’auteur décrit longuement l’impact des voyages du pape Jean-Paul II en Roumanie, en Géorgie, en Grèce, en Ukraine, au Kazakhstan et en Bulgarie, où les autorités orthodoxes religieuses ont souvent été en déphasage avec l’opinion publique.
Actuellement des visites importantes ont eu lieu tant à Moscou du cardinal Kasper, président du Conseil pontifical pour la Promotion de l’unité des chrétiens, qu’au Vatican, de la part de hauts responsables de l’Église orthodoxe ukrainienne. En outre, la Commission mixte internationale pour le dialogue théologique et les relations ecclésiales entre catholiques et orthodoxes poursuit ses travaux de façon positive, et a permis d’établir des relations utiles avec le patriarcat de Moscou.
Le patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomée Ier a reçu Benoît XVI en Turquie. Accueillant en février de cette année, le cardinal Sepe, archevêque de Naples, a déclaré que le chemin vers l’unité des chrétiens a récemment accompli « des pas en avant décisifs et irréversibles ». Il s’est félicité des « progrès de la commission théologique catholique orthodoxe » et de sa récente participation, en octobre 2008, au synode des évêques qui s’est déroulé au Vatican. Il a souligné que « le dialogue théologique entre nos Églises, interrompu il y a presque six ans a recommencé d’abord à Belgrade puis à Ravenne et se poursuivra en octobre prochain à Chypre », avec, notamment, l’étude du primat de l’évêque de Rome dans le cadre de l’Eglise chrétienne ».
3. Le monde protestant
Pour ce qui est de l’Église anglicane, la commission mixte anglicane-catholique (ARCIC) a publié des déclarations communes sur l’Église comme communion (1990), « la vie en Christ : morale, communion et Église » (1993), « le don de l’autorité » (1999). Mais la décision des autorités anglicanes d’ordonner des femmes (1992) et des pasteurs homosexuels (2002) constitue un frein au rapprochement. Par réaction, plusieurs centaines de milliers de traditionalistes anglicans, en rupture avec leur Église depuis 1991, pourraient être admis au sein de l’Église catholique au moment des fêtes de Pâques. Ce serait la première fois dans l’histoire qu’une communauté chrétienne née de la Réforme serait ainsi réadmise dans l’Église catholique. Il s’agit de la Traditional Anglican Communio, qui en a fait la demande écrite au pape en 2007. La Congrégation pour la doctrine de la foi aurait donné son accord en octobre 2008. Ce retour est hautement symbolique au terme de l’année dédiée à Saint Paul, le plus grand missionnaire dans l’histoire de l’Église.
Quant aux Églises luthériennes, Jean Paul II a participé, fin 1983, à un office œcuménique dans l’église luthérienne de Rome, et y a récité une prière de Luther pour l’unité. Fin 1991 a lieu une célébration œcuménique dans la basilique Saint-Pierre, au cours de laquelle, pour la première fois depuis la Réforme, des évêques luthériens ont prié avec le pape et avec les évêques catholiques de Stockholm et d’Helsinki, à l’occasion du VIe centenaire de la canonisation de sainte Brigitte de Suède. D’une particulière importance est la signature, le 31 octobre 1999, dans la ville d’Augsbourg, de la déclaration commune de l’Église catholique et de la Fédération luthérienne mondiale sur « la doctrine de la justification par la foi », qui, sans parvenir à un accord plénier, résout déjà nombre de questions. Le pape Benoît XVI a reçu le 5 mars 2007 l’archevêque luthérien d’Uppsala, primat de l’Église luthérienne de Suède. La commission pour le dialogue luthérien-catholique en Finlande et en Suède continue de se pencher sur la Déclaration commune sur la Justification. Ce texte a mis fin à quatre siècles de désaccord sur un point de doctrine à l’origine du schisme protestant, pour savoir si l’homme était sauvé par sa foi ou par ses actes. Le pape Benoît XVI s’est réjoui de l’adhésion en 2007 du Conseil méthodiste mondial à cet accord théologique.
Côté calvinistes, Jean Paul II a rendu hommage à Calvin, pour le 465e anniversaire de sa naissance, en 1984, et exprimé « un profond regret pour la mort cruelle infligée à Jean Hus » (2000), principal réformateur tchèque.
La deuxième phase du dialogue international réformé/catholique romain (1984-1990) débouche sur un document intitulé « vers une compréhension commune de l’Église ». Les contacts se poursuivent.
Le dialogue méthodistes-catholiques romains aboutit à un rapport sur « la Parole de vie. Déclaration sur la Révélation et la foi » (1995). Un nouveau rapport sur le dialogue des années 1997-2001 est intitulé « Dire la vérité dans l’amour : l’autorité d’enseignement chez les catholiques et les métho-distes ». Le pape Benoît XVI a reçu des représentants des confessions méthodistes, baptistes, etc.
(à suivre...)