B) La fonction de gouvernement dans l’Église
Nous avons vu, dans le propos liminaire, que saint Pierre et, en lui, ses successeurs, ont reçu leur pouvoir directement de Dieu. C’est pourquoi l’adage prima Sedes a nemine judicatur (Code de Droit canonique, c. 1404) restera toujours actuel : le premier siège, celui de l’évêque de Rome et donc le pape lui-même, ne peut être jugé par personne : il est directement redevable devant Dieu de la façon dont il dirige l’Église et remplit sa mission de porter l’Évangile « jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8).
1. La Curie romaine
La Curie romaine est l’ensemble des bureaux, appelés dicastères, et des organismes qui aident le pape dans l’exercice de sa charge de pasteur suprême, pour le bien de l’Église universelle et des Églises particulières.
Il s’agit concrètement de la Secrétairerie d’État, composée de deux sections, l’une pour les affaires générales, le ministère de l’Intérieur en quelque sorte, l’autre pour les relations avec les États, l’équivalent de notre ministère des Affaires étrangères. La Secrétairerie d’État, dirigée par le cardinal Secrétaire d’État, actuellement l’italien Tarcitio Bertone, chapeaute les Congrégations romaines, au nombre de neuf, qui sont autant de ministères : pour la Doctrine de la foi, les Églises orientales, le Culte divin et la discipline des sacrements, les Causes des saints, les évêques, l’évangélisation des peuples, le clergé, les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique et, enfin, l’éducation catholique.
S’y ajoutent onze Conseils pontificaux : des laïcs, pour la promotion de l’unité des chrétiens, de la famille, Justice et paix, Cor unum, pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement, pour la pastorale des services de la santé, des textes législatifs, pour le dialogue interreligieux, de la culture, des communications sociales et, en dernier lieu, pour le dialogue avec les non-croyants.
Différents bureaux et Commissions viennent s’y agréger également, ainsi que des organismes variés. Et enfin trois tribunaux ecclésiastiques : la Pénitencerie apostolique qui intervient pour les causes de for interne ecclésiastique comme la levée d’une censure, ou de for externe comme les indulgences, ou remise des peines dues pour les péchés ; le Tribunal suprême de la Signature apostolique, l’équivalent de notre Cour de cassation ; le Tribunal de la Rote romaine, qui joue le rôle de tribunal d’appel en deuxième ou en troisième instance.
La Curie romaine a été réorganisée par le pape Jean-Paul II, en 1988 (const. ap. Pastor Bonus, 28 juin 1988). Chaque dicastère est présidé par un cardinal. Les cardinaux, qui constituent comme le « sénat du pape », se réunissent en consistoire « pour apporter leur aide au pasteur suprême de l’Église par une action collégiale » (CIC, c. 353). Le consistoire ordinaire est formé des cardinaux résidant à Rome, consultés sur des affaires graves, mais assez courantes. Le consistoire extraordinaire est l’assemblée de tous les cardinaux réunie chaque fois que des affaires d’une exceptionnelle importance l’exigent. C’est en consistoire que le pape procède à la nomination de nouveaux cardinaux . Benoît XVI a ainsi nommé 15 cardinaux, dont deux Français, les cardinaux Ricard et Vanhoye, le 24 mars 2006, et 23 cardinaux, dont un Français, le cardinal Vingt-Trois, le 24 novembre 2007.
Les cardinaux ont aussi pour fonction de procéder à l’élection du Pontife romain. Sont électeurs les cardinaux âgés de moins de 80 ans et au nombre maximal fixé par Jean-Paul II de 120. Tous les membres du Sacré collège ou collège des cardinaux sont élégibles, de même que, en principe, n’importe quel autre fidèle homme. La réunion des électeurs est le conclave . Le nom vient du latin cum clavis , « à clef », « fermé à clé ». Les cardinaux restent enfermés et coupés de l’extérieur tant que l’un d’eux n’a pas atteint le quorum requis et accepté la charge. Depuis le XVIe siècle, les conclaves se tiennent dans la chapelle Sixtine. Comme on le sait, les bulletins sont brûlés dans un poële , et la fumée dégagée est noire quand l’accord ne s’est pas fait, blanche quand l’élection est acquise.
Le pape Paul VI avait entrepris une internationalisation de la Curie romaine, qui s’est amplifiée sous le pontificat de Jean-Paul II, lui-même venu de Pologne. Pour nous limiter au collège des cardinaux, il comprenait, au 16 février, 188 membres, dont 115 électeurs, se répartissant comme suit :
2. La collégialité
La collégialité est vécue au plus haut niveau dans les conciles œcuméniques , qui sont une assemblée réunissant les évêques de l’Église catholique tout entière, ainsi que les supérieurs d’ordres religieux, pour traiter de la foi, de la discipline ecclésiastique et de l’organisation de l’Église. Le premier concile œcuménique s’est tenu à Jérusalem, en 40, en présence des apôtres. Le dernier à avoir été réuni est le Concile de Vatican II, de 1962 à 1965 .
Il a été rappelé àVatican II que « tous les évêques doivent promouvoir et protéger l’unité de la foi et de la discipline commune à l’ensemble de l’Église, former les fidèles à l’amour à l’égard de tout le corps mystique du Christ, surtout envers ses membres pauvres, souffrants, et envers ceux qui subissent la persécution pour la justice, enfin promouvoir toute activité commune à toute l’Église, surtout pour que la foi connaisse l’acccroissement et que la lumière de la pleine vérité se lève sur tous les hommes » (constitution dogmatique Lumen Gentium). Cette responsabilité envers l’ensemble de l’Église est appelée « collégialité ».
Une manifestation de la collégialité est le souci du pape de consulter l’épiscopat du monde entier pour des décisions de plus grande importance, comme pour la rédaction du Code de droit canonique - le droit ecclésiastique - ou pour la rédaction du Catéchisme de l’Église catholique.
Les formes institutionnelles de la collégialité sont le Synode des évêques et les Conférences d’évêques.
a) Le Synode des évêques
Le Synode des évêques est la « réunion des évêques qui, choisis des diverses régions du monde, se rassemblent à des temps fixés afin de favoriser l’étroite union entre le Pontife romain et les évêques et d’aider de ses conseils le Pontife romain pour le maintien et le progrès de la foi et des mœurs, pour conserver et affermir la discipline ecclésiastique, et aussi afin d’étudier les questions concernant l’action de l’Église dans le monde » (CIC, c. 342). Institué par le pape Paul VI, le Synode des évêques se réunit en assemblée ordinaire tous les trois ans. Il étudie des sujets très variés et fait des propositions au pape, qui en reprend ce qui bon lui semble dans une exhortation apostolique. Citons comme thèmes traités : la transmission de la foi, la famille, la réconciliation des pécheurs par le sacrement de confession et la pénitence, la vocation et la mission des laïcs dans l’Église et dans le monde, la formation des prêtres, la vie consacrée, les évêques, le sacrement de l’Eucharistie comme source et sommet de la vie chrétienne, la place de la Parole de Dieu dans l’Église.
Ces sujets font souvent l’objet d’autres développements doctrinaux et normatifs. C’est le cas, par exemple, pour ne donner qu’un échantillon limité au seul domaine de la famille, de la publication de la Charte des droits de la famille, du 22 octobre 1983, de la fondation de l’Académie pontificale pour la vie, de la création de l’Institut international d’études sur la famille, en 1981, des Orientations éducatives sur l’amour humain, sur la signification de la sexualité et les modalités de l’éducation sexuelle, de l’instruction Donum vitæ sur le respect de la vie naissante et la dignité de la procréation (Congr. pour la Doctrine de la foi), des Orientations pour les catholiques engagés dans la vie politique (Congr. pour la Doctrine de la foi, 2003), d’un document sur famille, mariage et unions de fait (Conseil pont. de la famille, 2001), d’une lettre sur la pastorale envers les personnes homosexuelles (Congr. pour la Doctrine de la foi, 1986), d’une lettre sur les conditions d’accès à la communion eucharistique des fidèles divorcés et remariés (Congr. pour la Doctrine de la foi, mai 1997). Il faudrait encore signaler la participation du pape aux Journées mondiales des familles, la dernière en date, la cinquième, ayant eu lieu avec la présence de Benoît XVI à Séville, en Espagne, au mois de juillet 2006.
Parmi les documents les plus récents, on remarquera l’instruction Dignitas personæ sur certaines questions de bioéthique, du 8 septembre 2008 (Congr. pour la Doctrine de la foi, DC (106 (109), p. 28-38), une intruction sur les critères de discernement vocationnel au sujet des personnes présentant des tendances homosexuelles en vue de l’admission au séminaire et aux ordres sacrés (Congr. pour l’Éducation catholique, 4 nov. 2005, DC 102 (2005), p. 24-27).
Des assemblées spéciales et extraordinaires du Synode des évêques ont été convoquées pour chacun des cinq continents, pour le vingt-cinquième anniversaire du Concile Vatican II en 1985, pour les évêques hollandais en 1980, ceux d’Ukraine en 1980, ceux du Liban en 1985, les évêques chaldéens en 2003, etc. Le pape Benoît XVI vient d’inaugurer au Cameroun le deuxième Synode extraordinaire pour l’Afrique.
Le pape Jean-Paul II a relevé également que la propagation du sida révèle « une crise préoccupante des valeurs », estimant que s’est manifestée de façon parallèle « une sorte d’immunodéficience sur le plan des valeurs essentielles, qui ne peut manquer d’être reconnue comme une vraie pathologie de l’esprit » (au Conseil pontifical pour la pastorale des services de santé, 1990).
Au sujet de la diffusion de la drogue, il a déclaré qu’elle est « le signe d’un grave dysfonctionnement du système social qui suppose une « lecture » matérialiste et, en un sens, destructrice des besoins humains » (enc. Centesimus annus).
b) Les Conférences d’évêques
Le Code de droit canonique de 1983 , reprenant l’enseignement du Concile Vatican II (décr. Christus Dominus) définit la Conférences évêques comme une « institution à caractère permanent », un organisme collégial d’institution ecclésiastique, qui réunit les « évêques d’une nation ou d’un territoire donné, exerçant ensemble certaines charges pastorales pour les fidèles de son territoire afin de mieux promouvoir le bien que l’Église offre aux hommes, surtout par les formes et moyens d’apostolat adaptés de façon appropriée aux circonstances de temps et de lieux » (c. 447).
Les compétences de la Conférence sont fixées par le droit canonique : la Conférence est tenue de légiférer dans certains domaines, tandis que son intervention est facultative dans d’autres. Ses décrets doivent être « reconnus », c’est-à-dire approuvés par le saint-siège pour avoir force de loi.
La Conférence des évêques de France se réunit deux fois par an, à Lourdes. La dernière session s’est tenue en mars 2009, la précédente ayant eu lieu en septembre 2008, en présence du pape Benoît XVI.
c) La nomination des évêques et les visites ad limina
Le nonce apostolique, dont il sera question plus avant, joue un rôle important pour la nomination des évêques. Il lui revient, en effet, de procéder aux enquêtes appropriées et d’envoyer au saint-siège une proposition de trois noms - la terna - pour chaque siège à pourvoir, liste que l’autorité suprême n’est pas tenue de suivre. Certains pays de vieille tradition catholique conservent un droit de nomination par le chapitre des chanoines de la cathédrale.
Tout évêque doit effectuer la visite ad limina, c’est-à-dire venir à Rome, tous les cinq ans, dans un triple objectif : se recueillir sur la tombe des apôtres Pierre et Paul, rencontrer l’évêque de Rome, autrement dit le pape, et avoir des contacts avec les différents dicastères de la Curie romaine, et enfin présenter un rapport sur l’état de son diocèse ou de sa circonscription ecclésiastique.
3. Les moyens juridiques
Comme tout ordre juridique, l’Église dispose de sa propre législation, y compris en matière pénale. Elle se doit donc de sanctionner les délits qui peuvent être commis par l’un ou l’autre de ses fidèles au détriment du bien et de la communion ecclésiaux. Elle édicte également les normes que des situations nouvelles peuvent réclamer.
C’est ainsi que par les lettres apostoliques motu proprio Sacramentorum sanctitatis tutela, « la protection de la sainteté des sacrements », du 30 avril 2001, Benoît XVI revient sur les délits les plus graves contre les mœurs dans la célébration des sacrements, et promulgue les « Normes concernant les délits les plus graves réservés à la Congrégation pour la Doctrine de la foi », délits dont l’examen est réservé au Tribunal apostolique de la dite Congréation (cf. DC 99 (2002), p. 363 et 364-365).
4. L’expansion de l’Église catholique
Les fonctions d’enseignement et de sanctification se manifestent sur le terrain par l’expansion de l’Église catholique, tant dans l’espace que numériquement.
a) L’expansion géographique
Quand l’on examine les données fournies chaque année par le Bureau des statistiques du saint-siège, force est de constater une forte croissance de l’Église catholique tout au long de la deuxième moitié du XXe siècle. Elle est essentiellement le fait des continents africain, américain et asiatique. Pour donner un ordre de grandeur, au cours de son pontificat, qui s’étend sur un peu plus d’un quart de siècles, le pape Jean-Paul II a créé 450 diocèses et circonscriptions ecclésiastiques nouveaux, tandis que deux cents autres circonscriptions se développaient, par exemple de diocèse à archidiocèse, autrement dit plus de deux par mois.
C’est le reflet d’un dynamisme assez exceptionnel et, me semble-t-il, sans guère de précédent, qui contraste avec la situation des pays riches d’Europe et d’Amérique du Nord.
b) L’expansion numérique
Cette donnée est confortée par d’autres statistiques . De 1978 à 2005, le nombre des catholiques dans le monde a augmenté de 49% (contre près de 55% pour la population mondiale), pour atteidre le chiffre de près d’1,115 milliard (de 757 millions à 1 115 milliard), ce qui représente 17,25% des habitants de la planète. Le nombre des évêques a cru de 27,7% (de 3 714 à 4 742). Le départ des évêques à la retraite, en principe à 75 ans, et l’expansion de l’Église sont donc cause d’un important renouvellement de l’épiscopat.
Sur la même période, le nombre des prêtres diocésain est légèrement en hausse, alors que si l’on y ajoute les religieux prêtres, l’on enregistre une baisse de 1,6% (de 412 000 à 406 400). Enfin le nombre des séminaristes, les futurs prêtres, a augmenté de 77% (de 63 800 à 113 000). On compte un séminariste pour moins de quatre prêtres (113 000 pour 405 000), ce qui est un signe encourageant pour l’avenir.
(à suivre...)