Le baptême est la porte qui donne accès à la vie chrétienne, à la vie en Dieu. Il est « le fondement de toute la vie chrétienne, le porche de la vie dans l’Esprit (vitæ spiritualis ianua [« la porte de la vie spirituelle »]) et la porte qui ouvre l’accès aux autres sacrements » (Catéchisme de l’Église catholique, n° 1213). C’est « le sacrement de la régénération par l’eau et dans la parole », comme le disait le catéchisme de Trente. C’est le premier sacrement dans l’ordre de réception, celui qui fait de quelqu’un un chrétien. Aucun autre sacrement ne peut être reçu sans que le baptême l’ait été au préalable.
Nous avons recours ici à la typologie qui permet « d’éclairer l’unité du plan divin dans les deux Testaments ». La typologie, du grec tupos, « coup », « empreinte d’un coup », « discerne dans les œuvres de Dieu sous l’Ancienne Alliance des préfigurations de ce que Dieu a accompli dans la plénitude des temps, en la personne de son Fils incarné » (Catéchisme de l’Église catholique, n° 128). Par exemple, Adam est le type du nouvel Adam, le Christ ; la manne, mangée par les Hébreux dans le désert, celui de l’Eucharistie ; Josué, faisant entrer les Hébreux dans la Terre promise, celui du Christ qui fait entrer au ciel, etc.
La première figure du baptême est donnée par les eaux primitives, de la Création du monde par Dieu. J’emprunte à Jean Daniélou, Bible et liturgie, Paris, 1950, les citations des Pères de l’Église qui suivent. « Une fois les éléments du monde ordonnés, quand il fallut leur donner des habitants, c’est aux eaux primordiales qu’il fut donné de produire des vivants. L’eau primitive a engendré la vie, pour qu’on ne s’étonne pas que dans le baptême les eaux soient capables de vivifier » (Tertullien, De baptismo 2). Or, « l’Esprit planait sur les eaux » (Genèse 1, 2). Moyennant quoi, « tu as vu l’eau, mais toute eau ne guérit pas, si l’Esprit ne descend pas et ne consacre pas cette eau » (saint Ambroise, De Sacramentis 1, 15). Cet Esprit, je l’ai rappelé, planait au-dessus de Jésus au moment de son baptême dans le Jourdain (cf. Matthieu 3, 16-17). Ainsi, tout comme l’Esprit Saint suscite la création première, il suscite également la nouvelle création qu’est la régénération dans l’eau baptismale. Cette eau baptismale engendre « des petits poissons », comme les eaux primordiales avaient engendré les poissons. Ce symbole, évoqué par Tertullien (De baptismo 1), est intéressant si l’on se rappelle que le poisson, ichtus en grec, est le symbole du Christ et donc du chrétien (ichtus est l’acrostiche de Iesous CHristos THeou Uios Sôter, « Jésus, Fils de Dieu, Sauveur »).
Le Déluge apparaît fréquemment pour évoquer le baptême. Saint Pierre y a recours : « La Christ a souffert la mort, lui juste pour des injustes, ayant été mis à mort selon la chair, mais rendu à la vie selon l’Esprit. C’est aussi dans cet Esprit qu’il est allé faire une proclamation aux esprits en prison, rebelles autrefois lorsqu’aux jours de Noé la longanimité de Dieu temporisait tandis que se construisait l’arche dans laquelle un petit nombre, savoir huit personnes, furent sauvés à travers l’eau. C’est elle aujourd’hui qui vous sauve par son antitype, le baptême » (1 Pierre 3, 18-21). Cette typologie est très riche. Je n’en donnerai qu’une exemple : « De même que, après que les eaux du Déluge, par lesquelles l’antiquité inique fut purifiée, après le baptême, pour ainsi dire, du monde, la colombe, envoyée de l’arche et revenant avec une branche d’olivier, signe encore maintenant de paix chez les peuples, a annoncé la paix aux terres ; suivant la même économie sur le plan spirituel, la colombe du Saint-Esprit descend sur la terre, c’est-à-dire sur notre chair, émergeant de la piscine baptismale après les anciens péchés, pour apporter la paix de Dieu envoyée du haut des cieux où est l’Église figurée par l’arche » (Tertullien, Ibid. 8).
Ajoutons encore la descente de Jésus aux enfers le Vendredi saint, associée au Déluge : « Il s’agit des mêmes voies de Dieu : dans les trois cas, il y a un monde pécheur qui doit être anéanti par le châtiment et dans les trois cas un juste est épargné : ce juste est, dans le déluge, Noé ; dans la descente aux Enfers, Jésus-Christ ; dans le baptême, le chrétien, par la configuration à Jésus-Christ » (J. Daniélou, Bible et liturgie, Paris, 1950, p. 108).
Le passage de la Mer Rouge symbolise aussi le baptême. La Mer Rouge est identifiée à la piscine baptismale. Le fondement de cette typologie se trouve chez saint Paul : « Nos Pères ont été cachés sous les nuages et ont traversé la mer. Ils ont été baptisés, par le ministère de Moïse, dans la nuée et dans la mer. C’est nous qui étions préfigurés dans ces choses » (1 Corinthiens 10, 2-6). Or, Dieu accompagne le peuple hébreu dans son exode la nuit sous la forme d’une colonne de nuée (cf. Exode 14, 24). Origène interprète le texte de la première épître aux Corinthiens en disant : « Ce qu’ils [les Hébreux] croient être une nuée, saint Paul établit que c’est l’Esprit Saint. Et il veut que ce passage soit interprété dans le même sens que le précepte du Seigneur : Si quelqu’un ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint, il ne peut entrer dans le royaume des cieux » (Homélies sur l’Exode 5, 1).
Le prophète Élie qui demande à Dieu d’être juge entre lui et les cinq cents prêtres de Baal, symbolise aussi le baptême, car, avant de sacrifier, il fait verser sur la victime à immoler trois fois quatre cruches d’eau (cf. 1 R 18, 38). « Par là, Élie prophétisait clairement à l’avance le sacrement du baptême qui devait avoir lieu plus tard. Le feu descendit sur l’eau répandue trois fois, afin de montrer que là où est l’eau sacramentelle, là est aussi l’Esprit, vivifiant, ardent, enflammé, qui consume les impies et illumine les fidèles » (saint Grégoire de Nysse, Homélie sur le baptême).
La hache d’Élisée flottant sur le Jourdain (cf. 2 R6, 1-7) est un autre élément figuratif du baptême. « Élisée jeta un morceau de bois dans le cours du Jourdain. Il repêcha ainsi le fer de la hache avec laquelle les fils des prophètes voulaient couper le bois destiné à bâtir leur maison. De même notre Christ nous a rachetés au baptême des péchés les plus pesants, par sa crucifixion sur le bois et le baptême dans l’eau » (saint Justin, Dialogue avec Tryphon 86, 6).
Enfin l’épisode de Naaman le Syrien amené à se baigner sept fois dans le Jourdain pour être guéri de sa lèpre (cf. 2 R 5, 9-20) est un type idéal du baptême. « Le peuple, composé d’étrangers, qui était lépreux, avant d’être baptisé dans le fleuve mystique, celui-là, après le sacrement du baptême, est purifié des souillures de l’âme et du corps. Dans la figure de Naaman, en effet, le salut futur est annoncé aux nations. Pourquoi reçoit-il l’ordre de se plonger un nombre chargé de mystère ? Pourquoi est-ce le Jourdain qui est choisi ? Reconnais la grâce du baptême salutaire » (saint Ambroise, Homélies sur saint Luc 4, 50-51).
Ajoutons le type de l’agneau pascal, que les Hébreux ont mangé avant de sortir d’Égypte. « La Passion du Christ, dit saint Augustin, a été figurée par le peuple juif, lorsqu’il a reçu l’ordre de marquer les portes des maisons avec son sang. C’est par le signe de sa Passion et de sa Croix [la sphragis] que tu dois être marqué aujourd’hui sur le front, comme sur une porte, et que tous les chrétiens sont marqués » (De catechizandis rudibus, PL 40, 335). La théologie de la sphragis apparaît ici « comme signe qui écarte l’ange exterminateur, et donc comme expression de l’amour gratuit de Dieu épargnant ceux qui sont marqués du sang de son Fils » (J. Daniélou, Bible et liturgie, Paris, 1950, p. 227).
Le poisson, ichtus en grec (dont les lettres forment l’expression Iesous Christos THeou Uios Sôter, « Jésus, Fils de Dieu, Sauveur ») désigne le chrétien, rené du baptême : « Nous sommes de petits poissons selon l’ichtus, Jésus-Christ, en qui nous naissons, et nous ne sommes vivants qu’en demeurant dans l’eau » (Tertullien, De baptismo 1). L’eau du baptême engendre donc ces poissons comme les eaux primitives de la Création avaient engendré les poissons.
Il serait possible de citer d’autres symboles. Je me limiterai à celui de la colombe, mis également en rapport avec le baptême de Jésus, « où l’Esprit Saint descendu sur le Seigneur en forme de colombe, repose sur les eaux du baptême où il reconnaît son antique séjour » (Tertullien, De baptismo 8), celui des eaux primordiales.