La piété mariale [1]
Tout ce que nous avons rappelé de notre Mère du ciel, la Panaghia des Orientaux, et du coup l’Hodigitria, celle qui nous conduit à Jésus, tout ce que nous avons pu vanter de ses qualités et de son excellence, de son rôle aux côtés de son Fils, de sa prière pour que son règne vienne et pour nous, les enfants de Dieu devenus « amis de Dieu » (Jn 15, 14), tout cela n’existe et n’a lieu d’être qu’en raison du privilège premier et fondamental de la Maternité divine de Marie, par laquelle nous ouvrons l’année civile : « Ô chose admirable ! Je contemple Marie. À quelle hauteur m’est-il donné de la voir ! Rien n’est égal à Marie sinon Dieu lui-même ! (...) De Marie, il s’est fait un Fils (le même et pas un autre !). Ainsi, de par sa nature, ce Fils est unique : c’est le Fils commun de Dieu et de Marie. Dieu a créé toutes choses et Marie a enfanté Dieu. Dieu, qui a tout fait, s’est fait lui-même de Marie, refaisant par elle tout ce qu’il avait fait dès l’origine. Dieu est donc le Père des choses créées et Marie la Mère des choses recréées. Dieu est le Père qui construit tout et Marie, la Mère de tout ce qui est reconstruit. Dieu a engendré Celui par qui tout a été fait et Marie a enfanté Celui par qui tout a été sauvé. [2] »
L’exercice auquel je dois me livrer ce soir est une gageure. Il faut, non exposer un thème précis de mariologie, mais résumer vingt siècles de piété et de dévotion envers notre Mère, deux millénaires de prières adressées à Marie par des hommes et des femmes de toutes conditions, et sous toutes les latitudes au fur et à mesure où la foi se répandait dans le monde. Et ce, parce que « nous croyons que la très sainte Mère de Dieu, nouvelle Ève, Mère de l’Église, comme Jean de Valon nous l’a rappelé, continue au ciel son rôle maternel à l’égard des membres du Christ, en coopérant à la naissance et au développe-ment de la vie divine dans les âmes des rachetés » [3]. Nous le croyons après avoir entendu Jésus expirant dire à Marie : « Femme, voici ton Fils », et au disciple « qu’il aimait », « voici ta mère » (Jn 19, 27). Dans ces mots « est pleinement indiqué le motif de la dimension mariale de la vie des disciples du Christ », qui s’exprime d’une manière spéciale, « par cette offrande filiale à la Mère de Dieu (...). En se livrant filialement à Marie, le chrétien, comme l’Apôtre Jean, « reçoit parmi ses biens personnels » la Mère du Christ et l’introduit dans tout l’espace de sa vie intérieure, c’est-à-dire dans son « moi » humain et chrétien (...). Il cherche ainsi à entrer dans le rayonnement de l’« amour maternel » avec lequel la Mère du Rédempteur « prend soin des frères de son Fils » [4] » [5]. Commentant cet enseignement de Jean-Paul II, le cardinal Ratzinger faisait observer que « Marie entre au plus profond de la vie spirituelle et culturelle, le disciple est introduit dans son existence de femme et de mère, c’est l’expression d’une confiance réciproque qui conduit de façon toujours nouvelle à la naissance du Christ et qui opère en l’homme une configuration au Christ. Mais de plus, la mission de Marie projette une lumière sur la femme en général, sur la dimension du féminin et la tâche particu-lière de la femme dans l’Église » [6]. Cette conférence conclusive consacrée à la dévotion mariale, sera donc juste une ébauche de réflexion nourrie d’abord de la piété mariale telle qu’elle s’exprime dans les premiers siècles de l’ère chrétienne (I), puis sustentée par diverses formes actuelles de cette piété (II).
[1] Texte retouché d’une conférence prononcée dans le cadre d’un groupe de spiritualité de l’Ordre Équestre du Saint Sépulcre de Jérusalem.
[2] Méditations et prières de saint Anselme.
[3] Paul VI, Credo du Peuple de Dieu, 30 juin 1968, n° 15.
[4] Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 62.
[5] Jean-Paul II, enc. Redemptoris Mater, 25 mars 1987, n° 45.
[6] J. Ratzinger, « Le signe de la femme », dans card. J. Ratzinger-H. U. von Balthasar, Marie, première Église, Paris-Montréal, Médiaspaul, 1998, p. 56-57.