« Désormais, toutes les générations me proclameront bienheureuse ! » (Lc 1, 48). « Cette parole de la mère de Dieu rapportée par saint Luc, comporte tout à la fois une prophétie et une mission confiée à l’Église de tous les temps. (...) L’Église n’a pas d’elle-même inventé quelque chose de nouveau lorsqu’elle a commencé à exalter Marie ; elle n’est pas descendue du sommet de l’adoration du Dieu unique pour tomber dans une simple louange humaine. Elle fait ce qu’elle doit faire et ce qui lui a été demandé depuis le début. Lorsque Luc rédigea ce texte, on était déjà à la deuxième génération, soulignait le cardinal Ratzinger ; à la « race » des Juifs s’était ajoutée celle des païens, qui étaient devenus l’Église du Christ. Les expressions « toutes les générations », « toutes les races », trouvaient un début de réalisation historique. L’évangéliste n’aurait sûrement pas transmis la prophétie de Marie si elle lui était apparue sans intérêt ou dépassée » [1].
« Il a comblé de biens les affamés, et il a renvoyé les riches les mains vides » (Lc 1, 53). Comme l’explique René Laurentin, Marie « prophétise ensuite la révolution de Dieu : il rend aux pauvres la première place en remettant à la leur le pouvoir et l’avoir factice des dominateurs de ce monde. Elle recrée ainsi l’égalité par l’amour, vers le partage et la communion que la communauté primitive établira prophétiquement mais de manière trop hâtive pour être durable, trente-trois ans plus tard. Elle l’entrevoit déjà comme réalisée, quoique à long terme » [2]. Elle est profondément marquée par l’esprit des « pauvres de Yahvé » qui, « selon la prière des psaumes, attendaient de Dieu leur salut et mettaient en lui toute leur confiance (cf. Ps 25 ; 31 ; 35 ; 55). Elle proclame en réalité l’avènement du « Messie des pauvres » (cf. Is 11, 4 ; 61, 1) », conduisant ainsi l’Église à un amour préférentiel pour les pauvres, qui « se trouve ensuite exprimé dans les paroles et les actions de Jésus » [3].
« Il est venu en aide à Israël, son serviteur, se souvenant de sa miséricorde, ainsi qu’il l’avait promis à nos pères, en faveur d’Abraham et de sa descendance à jamais » (Lc 1, 54-55). Il est intéressant de noter avec Laurentin que « la rétroversion hébraïque du cantique transmis en grec par Luc peut réserver des surprises. Les trois mots clé de cette brève phrase finale enchaînent des allusions étymologiques aux trois personnes visitées par Marie :
le prêtre, Zacharie : « Yahweh s’est souvenu (verbe zachar) ;
son fils, Jean : Yehohanan signifie « Dieu a fait grâce et miséricorde (racine hanan) ;
Élisabeth, qui signifie « Dieu a juré » (racine shâbah : « jurer, promettre ») » [4].
« Dieu a promis, c’est l’Alliance jurée à nos pères ; Dieu se souvient de son amour pour Israël son serviteur ; Dieu fait grâce en ces jours qui sont les derniers. C’est ce que la Vierge proclamera dans le Magnificat : « Dieu relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères » (Lc 1, 54-55) [5]. Nous sommes bénéficiaires de cet amour et de cette promesse. D’où notre prière constante et fervente à Marie.
Il est salutaire de désirer contempler le sourire de la Vierge. « L’Écriture elle-même nous le dévoile sur les lèvres de Marie lorsqu’elle chante le Magnificat : « Mon âme exalte le Seigneur, mon esprit exulte en Dieu mon Sauveur » (Lc 1, 46-47). Quand la Vierge Marie rend grâce au Seigneur, elle nous prend à témoin. Marie partage, comme par anticipation, avec ses futurs enfants que nous sommes, la joie qui habite son cœur, pour qu’elle devienne la nôtre. Chaque récitation du Magnificat fait de nous des témoins de son sourire » [6]. Car nous adressons souvent notre prière à Marie.
[1] Joseph Ratzinger, « Tu es pleine de grâce », dans card. J. Ratzinger-H. U. von Balthasar, Marie, première Église, Paris-Montréal, Médiaspaul, 1998, p. 56-57.
[2] René Laurentin, Vie authentique de Marie, Paris, Éditions de l’Œuvre, 2008, p. 78-79.
[3] Jean-Paul II, enc. Redemptoris Mater, 25 mars 1987, n° 37.
[4] René Laurentin, Vie authentique de Marie, p. 76.
[5] Guillaume de Menthière, Je vous salue Marie. L’art de la prière, Paris, Edifa-Mame, 2003, p. 59.
[6] Benoît XVI, Homélie en la fête de Notre-Dame des Douleurs, Lourdes, 15 septembre 2008.