I. La dévotion mariale dans les premiers siècles chrétiens
Nul ne s’étonnera si je commence l’exposé de la piété mariale à l’aube du christianisme par la prière de Marie (A). Il y aurait évidemment matière à un exposé indépendant. Je devrai être très succinct et évocateur. C’est dans un deuxième temps que nous verrons cette dévotion se développer sous la forme de prières à Marie tout au long des premiers siècles de l’Église (B).
A) La prière mariale est d’abord la prière de Marie
La prière de Marie est évoquée à plusieurs reprises dans les Évangiles. C’est saint Luc qui, par deux fois, souligne que Marie, après l’adoration des bergers, « gardait tout cela en sa mémoire et y réfléchissait » (Lc 2, 19), puis, après le recouvrement de Jésus au Temple, « sa mère conservait tout cela en sa mémoire » (Lc 2, 51). Le texte de la Vulgate est plus expressif, car il dit in corde suo, « dans son cœur ». Luc ne dit pas seulement qu’elle « gardait » ces paroles et ces événements, mais elle les « rassemblait » (Lc 2, 9), les « parcourait » (Lc 2, 51), et les « confrontait en son cœur » avec l’Écriture (Lc 2, 19) » [1]. Il s’agit donc bien d’une méditation, d’un ressassement intérieur des événements auxquels la Providence divine la mêle. Marie est « l’Évangéliste de l’enfance », dit Léon XIII, « une synthèse de l’Évangile de Jésus », précise Jean-Paul II [2].
Bien sûr, nous pensons aussi à la prière indirecte de Marie à Cana, quand elle attire l’attention de son Fils sur la situation que sa sensibilité féminine a su saisir : « Ils n’ont plus de vin » (Jn 2, 3). La force de persuasion de sa Mère est telle que cela suffit pour que Jésus, dont l’« heure n’est pas encore venue », comme il le lui fait lui-même savoir (Jn 2, 4), accomplisse son premier miracle et que ses premiers disciples croient en lui. En décrivant l’événement de Cana, l’apôtre Jean « dessine ce qui se manifeste concrètement comme la maternité nouvelle selon l’esprit et non selon la chair, c’est-à-dire la sollicitude de Marie pour les hommes, le fait qu’elle va au-devant de toute la gamme de leurs besoins et de leurs nécessités. (...) aller au-devant des besoins de l’homme veut dire, en même temps, les introduire dans le rayonnement de la mission messianique et de la puissance salvifique du Christ. Il y a donc une médiation. (...) En tant que Mère, elle désire aussi que se manifeste la puissance messianique de son Fils, c’est-à-dire sa puissance salvifique destinée à secourir le malheur des hommes, à libérer l’homme du mal qui pèse sur sa vie sous différentes formes et dans des mesures diverses » [3]. Telle est sa prière, sa toute-puissance d’intercession.
Mais la prière de Marie ne s’adresse pas uniquement à son Fils. Elle comprend un autre volet, qui nous concerne directement. « Un autre élément essentiel de ce rôle maternel de Marie se trouve dans ce qu’elle dit aux serviteurs : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. » La Mère du Christ se présente devant les hommes comme porte-parole de la volonté du Fils, celle qui montre quelles exigences doivent être satisfaites afin que puisse se manifester la puissance salvifique du Messie » [4].
Quand le Christ est remonté auprès du Père, Marie guide la prière de l’Église. Les Onze sont réunis au Cénacle et « eux tous, d’un même cœur, persévéraient dans la prière, ainsi que des femmes, Marie, la Mère de Jésus, et ses frères » (Ac 1, 14). C’est dans ce climat de ferveur qu’intervient l’Esprit Saint, au jour de la Pentecôte. Nous voyons donc Marie « appelant elle aussi de ses prières le don de l’Esprit qui, à l’Annonciation, l’avait déjà elle-même prise sous son ombre » [5].
La prière de Marie n’est pas seulement datée. C’est aussi, ne l’oublions pas, celle que nous lui demandons « à l’heure de notre mort ». Ce sont des centaines et des milliers de fois, des centaines de milliers de fois que nous l’avons invoquée avec confiance, lui demandant de prier pour nous maintenant - nous ne lui redisons en ce moment-même - et à l’heure de notre mort. Notre mort, qui a toutes les chances de passer inaperçue comme la sienne, de ne laisser derrière elle qu’une trace de sainteté, un rayonnement, un arôme de bonté, d’amour et d’union à Dieu. Comment ne pas évoquer la caresse maternelle de Marie, une caresse si particulière, mais si propre à celle qui a pleinement pris part à la Passion de son Fils, je veux dire son intervention au moment où le pape Jean-Paul II fit l’objet de l’attentat que l’on sait ? Elle a dévié la balle, mais ne lui a pas épargné les séquelles de l’attentat, lui faisant comprendre et partager sa propre souffrance et celle de notre Seigneur, « pour la gloire de Dieu et le salut des âmes ».
[1] René Laurentin, Vie authentique de Marie. Paris, Éditions de l’Œuvre, 2008, p. 373.
[2] Jean-Paul II, Homélie au sanctuaire de Notre-Dame de Suyapa (Honduras), 8 mars 1983.
[3] Jean-Paul II, enc. Redemptoris Mater, 25 mars 1987, n° 21.
[4] Jean-Paul II, Ibid.
[5] Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 59.