B) Les prières les plus courantes
Les prières mariales que nous récitons le plus fréquemment nous conduisent à la proximité du Seigneur et de tout le mystère de la Rédemption : il s’agit avant tout de l’Ave Maria, de l’Angélus et du saint Rosaire [1].
L’Ave Maria ne se compose, mis à part la demande finale, que de paroles de la Sainte Écriture, à commencer par le salut de l’archange : « Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous » (Lc 1, 28). Le nom « Pleine de grâce », car c’est bien le nom que saint Gabriel donne à Marie, appelle quelques précisions fournies par le cardinal Ratzinger : « Marie est appelée Pleine de grâce. Le terme grec de « grâce » (charis) vient de la même racine que les mots joie et se réjouir (chara, chairein). (...) La joie vient de la grâce. Celui qui est en état de grâce peut se réjouir de cette joie constante, jusque dans le tréfonds de son être » [2]. Nous disons en français : « Je vous salue Marie ». Mais le mot grec correspondant, Kaire, « signifie en soi « réjouis-toi », « sois contente ». Et il y a là un premier élément qui surprend : le salut entre les juifs était "Shalom", "paix", alors que le salut dans le monde grec était "Kaire", "réjouis-toi". Il est surprenant que l’Ange, en entrant dans la maison de Marie, salue avec le salut des Grecs : "Kaire", "réjouis-toi, sois contente". Et les Grecs, lorsqu’ils lurent cet Évangile quarante ans plus tard, ont pu voir ici un message important : ils ont pu comprendre qu’avec le début du Nouveau Testament, auquel cette page de Luc faisait référence, avait également eu lieu l’ouverture au monde des peuples, à l’universalité du Peuple de Dieu, qui désormais n’embrassait plus seulement le peuple juif, mais également le monde dans sa totalité, tous les peuples. La nouvelle universalité du Royaume du vrai Fils de David apparaît dans ce salut grec de l’Ange » [3].
Le « Je vous salue » se poursuit par les merveilleuses paroles de sainte Élisabeth, qui nous montrent ce qu’est un vrai culte marial. Mais le centre de gravité de l’Ave Maria se situe « comme à la charnière entre la première et la deuxième partie ». C’est « le nom de Jésus. Parfois, lors d’une récitation faite trop à la hâte, ce centre de gravité disparaît, et avec lui le lien au mystère du Christ qu’on est en train de contempler. Mais c’est justement par l’accent qu’on donne au nom de Jésus et à son mystère que l’on distingue une récitation du Rosaire significative et fructueuse » [4].
Les paroles de l’archange Gabriel et d’Élisabeth « expriment, pour ainsi dire, l’admiration du ciel et de la terre, et font, en un sens, affleurer l’émerveillement de Dieu contemplant son chef d’œuvre – l’incarnation du Fils dans le sein virginal de Marie –, dans la ligne du regard joyeux de la Genèse (cf. Gn 1, 31), de l’originel « pathos avec lequel Dieu, à l’aube de la création, a regardé l’œuvre de ses mains » [5].
Les trois brèves formules de l’Angélus sont elles aussi christocentriques : annonce de l’Incarnation, consentement de la Sainte Vierge, accomplissement de l’Incarnation elle-même. Les trois Ave qui ont été ajoutés « nous font demeurer auprès de la créature humaine en qui s’est réalisé le miracle de l’Incarnation, et par là entrer pour ainsi dire nous-mêmes dans le rayonnement du miracle ». En récitant l’Angélus, nous sommes conscients d’être impliqués dans le mystère de l’Incarnation, qui doit se réaliser aussi en nous, si nous voulons être dignes de notre condition de baptisé.
Le christocentrisme se retrouve aussi avec l’antienne pascale du Regina Cæli, par laquelle « l’Église parle à la Mère, à celle qui eut le bonheur de porter dans son sein, sous son cœur et plus tard dans ses bras, le Fils de Dieu, notre Sauveur. Elle l’a reçu pour la dernière fois entre ses bras sur le Calvaire, lorsqu’on l’a descendu de la croix. Sous ses yeux, on l’a mis dans le linceul et on l’a porté au tombeau, sous ses yeux de Mère. Et le troisième jour, le tombeau fut trouvé vide. Mais elle ne fut pas la première à le constater. Il y eut auparavant les « trois Marie », particulièrement Marie de Magdala, la pécheresse convertie. Les apôtres, prévenus par les femmes, sont venus ensuite le vérifier. Et même si les évangélistes ne nous disent rien de la visite de la Mère du Christ au lieu de sa résurrection, tous nous pensons qu’elle dut, en une certaine manière, y être présente en premier. Elle devait être la première à participer au mystère de la Résurrection, parce que c’était son droit de Mère » [6].
[1] Sur ces trois aspects, voir H. Urs von Balthasar, « Ô Vierge, Mère et fille de ton Fils », dans card. J. Ratzinger-H. Urs von Balthasar, Marie, première Église, Paris-Montréal, Médiaspaul, 1998, p. 121-123.
[2] Joseph Ratzinger, « Marie, Mère de l’Église », Ibid., p. 67.
[3] Benoît XVI, Homélie, 18 décembre 2005.
[4] Jean-Paul II, lettre ap. Rosarium Virginis Mariæ, 16 octobre 2002, n° 33.
[5] Cf. Jean-Paul II, Lettre aux artistes, 4 avril 1999, n° 1.
[6] Jean-Paul II, Audience générale, 2 mai 1979.