b) D’une toute autre importance que la conversion de l’eunuque est celle du centurion Corneille et de sa famille. Corneille nous est présenté comme un « homme pieux et craignant Dieu », lui « ainsi que toute sa maison ». En outre, « il faisait beaucoup d’aumônes au peuple et priait Dieu sans cesse » (10, 2). Au cours d’une vision « un ange de Dieu » lui dit, entre autres : « Tes prières et tes aumônes sont montées vers Dieu comme un mémorial. Maintenant envoie des hommes à Joppé, et fais venir un certain Simon, surnommé Pierre » (10, 4-5). Or, ce Simon-Pierre était entré en extase au même moment.
Avant tout, nous pouvons souligner ici l’importance et le pouvoir de la prière et des aumônes. La prière d’abord. Nous ne saurions trop insister sur le fait que notre prière non seulement peut mais doit souvent prendre la forme d’une prière de demande. C’est sans doute un des points de l’enseignement du Christ qui revient le plus fréquemment, probablement parce qu’il connaissait par avance notre réticence à formuler une semblable prière. « Demandez et on vous donnera ; cherchez et vous trouverez ; frappez, et on vous ouvrira. Car qui demande reçoit, qui cherche trouve, et à qui frappe on ouvrira » (Mt 7, 7-8). L’affirmation ne laisse pas place au doute. Et pourtant celui-ci surgit parfois dans notre esprit. Pourquoi ? Parce que nous n’arrivons pas à nous abstraire de notre condition humaine et que nous raisonnons, même pour les choses de Dieu, avec nos paramètres terrestres. Or, Dieu est en dehors du temps. Il est Acte Pur, dit-on en philosophie. « Mon Père et moi, nous sommes toujours au travail », dit Jésus [1], toujours en train d’agir, mais au présent.
Pour le comprendre un peu nous pouvons suivre Aristote qui nous présente Dieu comme un veilleur situé sur une montagne au pied de laquelle s’écoule l’ensemble de l’humanité, depuis l’apparition de l’homme sur terre jusqu’à la fin des temps. Nous sommes immergés dans cette foule, avec une connaissance limitée à notre entourage et, si nous sommes de bonne stature, avec la capacité à voir un peu plus loin. Mais notre vision est très limitée. Dieu, en revanche, embrasse toute l’histoire humaine d’un seul regard. Rien ne lui échappe. Nous sommes bien obligés de tenir compte de notre condition, mais il faut veiller à ne pas y réduire Dieu.
Quand Jésus affirme « demandez et on vous donnera » ou « qui demande reçoit », il ne se place pas dans notre cadre temporel. Il ne nous dit pas : « Demandez et vous recevrez ce que vous avez demandé », pas plus que « demandez et vous recevrez sur le champ ». Non. Ce qu’il affirme, c’est que nous recevrons. Quoi ? Ce qui nous convient le mieux. Pouvons-nous oublier que Dieu est notre Père, un Père qui aime ses enfants d’un Amour infini, bien plus que ne peuvent le faire tous les pères et toutes les mères du monde, un Père qui veut le bien de ses enfants, là aussi mieux que tous les pères et les mères du monde, un Père qui sait de science exacte ce qui convient à chacun de ses enfants, un Père qui choisit donc pour nous effectivement ce qui nous convient le mieux à chaque instant et qui ne se trompe jamais dans son choix, autrement il ne serait pas notre Dieu infiniment Bon et Parfait ? Autrement dit, la situation qui est la nôtre à un moment donné, qu’elle nous apparaisse simple ou problématique, qu’elle soit marquée par la bonne santé ou la maladie, qu’elle nous apporte des joies ou des souffrances, est la situation à laquelle Dieu pense pour nous de toute éternité dans son Amour illimité, et donc la situation appropriée, idéale même pour nous sanctifier. Il ne peut pas y en avoir de meilleure, sauf à douter de la bonté paternelle de Dieu. Y songer ne peut que nous remplir d’optimisme et de reconnaissance face à la vie que Dieu nous donne de vivre.
Nous avons vu ce que nous recevrons comme réponse à notre prière. Demandons-nous maintenant quand nous serons exaucés. Rarement dans l’immédiat. « Il leur dit une parabole pour montrer qu’il fallait prier toujours, sans jamais se lasser » (Lc 18, 1). C’est la parabole de la veuve et du juge inique. Je ne vais pas la reprendre ici, nous l’avons tous en mémoire. Je l’évoque simplement parce qu’elle nous montre bien que notre prière s’inscrit naturellement dans la durée. Ce n’est ni un automatisme, ni une simple bouée de sauvetage. La prière devrait être une habitude chez nous. « Jusqu’à présent vous n’avez rien demandé en mon nom : demandez et vous recevrez, si bien que votre joie sera complète » (Jn 16, 24). Jean-Paul II déclarait un jour : « Face aux tragédies des hommes, les prières peuvent sembler inefficaces et vaines ; bien au contraire, elles ouvrent toujours de nouveaux chemins d’espérance, surtout lorsqu’elles sont mises en valeur par la douleur qui se transforme en amour » [2], la souffrance, la mortification étant la prière du corps.
En tout cas, il est bon de nous arrêter à réfléchir sur la place que la prière occupe dans notre journée, et de voir si nous savons consacrer vraiment un temps précis à une heure donnée au Seigneur et, par la récitation du chapelet, aussi à notre Mère du ciel. Et disons-nous bien que « quand deux partis sont en présence, le parti des hommes qui prient est assuré du triomphe final, comme l’assurait le cardinal Pie. Il n’appartient pas à la volonté humaine de faire la loi à Dieu et de notifier un ultimatum à sa Providence. Une vieille expérience a appris à satan que, à défaut de la liberté de parole, le passeport forcément accordé à la prière est pour lui l’arrêt signé de sa défaite » [3].
[1] « Mon Père ne s’arrête pas d’agir, et moi aussi j’agis » (Jn 5, 17)
[2] Jean-Paul II, Discours aux jeunes et aux éducateurs de l’Institut Séraphique, Assise, 9 janvier 1993
[3] Mgr Pie, cité dans Histoire du Cardinal Pie, évêque de Poitiers, par Mgr Baunard, Poitiers-Paris, 2ème éd., 1886, vol. II, p. 231