Pour certains auteurs, nous sommes en 49 [1]. Disons qu’il vaudrait mieux situer cette réunion vers 39-40 [2]. Faut-il parler d’assemblée ou de concile de Jérusalem. Certains préfèrent le mot d’assemblée ou d’« assemblée apostolique », puisque les apôtres sont présents au grand complet ? C’en est incontestablement une. Mais qu’est-ce qu’un concile ? Le mot vient du latin consilium qui veut dire… assemblée ! Le concile est une « réunion d’évêques, successeurs des apôtres de Jésus-Christ dans le gouvernement de l’Église, […] pour traiter de questions concernant la foi, la discipline ecclésiastique et l’organisation de l’Église » [3]. Nous sommes donc fondés à parler du « concile de Jérusalem » [4]. Et même si le concile de Jérusalem ne commence pas la liste des conciles œcuméniques, dont le premier est celui de Nicée, tenu en 325 pour faire pièce à l’arianisme [5], néanmoins l’assemblée de Jérusalem réunit toutes les caractéristiques d’un concile œcuménique : « a) c’est une réunion de ceux qui dirigent l’Église entière et non seulement de quelques ministres d’un endroit précis ; b) il promulgue des normes qui ont un caractère obligatoire et engagent tous les fidèles ; c) ce qui est décidé porte sur la foi et les mœurs ; d) les décisions sont reprises dans un document écrit, en vue de leur promulgation formelle à toute l’Église ; e) Pierre préside cette assemblée » [6]
« Quelques-uns de la secte des Pharisiens, qui avaient cru, se levèrent » pour récriminer contre la situation de fait et exiger que les païens soient circoncis et tenus d’observer la Loi de Moïse (Ac 15, 5). « Sans cette intervention, nous ignorerions que des pharisiens s’étaient joints aux disciples du Christ » [7], réserve faite de Nicodème, mais qui s’est converti du vivant de notre Seigneur (voir Jn 7, 50).
« Alors les apôtres et les anciens s’assemblèrent pour examiner cette affaire » (Ac 15, 6). Pierre défend, avec tout le poids que lui confère son autorité primatiale, le comportement envers les chrétiens d’origine juive. « Pourquoi tentez-vous donc Dieu en voulant imposer sur le cou des disciples un joug que ni nos pères ni nous n’avons pu porter ? » (Ac 15, 10). Un joug que les scribes et les pharisiens avaient rendu plus pesant encore en y ajoutant de multiples prescriptions minutieuses et tatillonnes, que le Seigneur leur reprocha : « Ils lient et mettent sur les épaules des gens des fardeaux écrasants et difficiles à porter, mais eux-mêmes, ils se refusent à les remuer du bout des doigts » (Mt 23, 4).
L’assemblée « se tait » (Ac 15, 12), par respect envers Pierre et par obéissance à son autorité. Après Pierre, c’est au tour de Barnabé et de Paul de prendre la parole. Ils « racontaient quels grands miracles et prodiges Dieu avait faits par eux parmi les Gentils » (Ac 15, 12). Ils pourraient reprendre le raisonnement de Pierre à propos de la conversion de Corneille : « Si Dieu réalisait de tels prodiges parmi les païens, qui étions-nous pour nous y opposer ? » C’est le sceau qui vient garantir la divinité de leur entreprise apostolique.
Llaissant de côté toute la discussion, quei est bien connue, venons-en à la résolution du cas. Jacques, tête de l’Église de Jérusalem, prend la parole et, se référant au récit de Pierre sur la conversion des Gentils, en fait une : « Simon a raconté comment Dieu tout d’abord a pris soin de tirer du milieu des Gentils un peuple qui porte son nom » (Ac 15, 14). Jusqu’à présent, ce « peuple » était identifié aux Israélites, comme en témoigne, par exemple, ce passage du Deutéronome : « Toi, tu es un peuple saint, consacré à Yahvé, ton Dieu ; et c’est toi que Yahvé choisit pour lui être un peuple particulier entre tous les peuples qui sont sur la surface de la terre » (Dt 14, 2). Désormais, ce peuple est celui des baptisés et inclut aussi des gens d’origine païenne. C’est bien l’enseignement de Paul : « Ainsi vous n’êtes plus ni étrangers, ni résidents, vous êtes concitoyens des saints et membres de la famille de Dieu » (Ep 2, 19). « Dieu tout d’abord a pris soin de tirer du milieu des Gentils un peuple qui porte son nom », « tout d’abord », primum dans le texte latin, c’est-à-dire « pour la première fois », la conversion de Corneille, de sa famille et de ses amis constituant le premier appel proprement dit des Gentils à la foi chrétienne.
Alors, citant librement le prophète Amos, Jacques le Mineur ajoute : « Avec ce dessein s’accordent les paroles des prophètes, selon ce qui est écrit : Après cela je reviendrai, et je rebâtirai la tente de David qui était tombée ; et ses ruines je les relèverai et je la redresserai, afin que le reste des hommes cherche le Seigneur, ainsi que toutes les nations qui ont été consacrées à mon nom, dit le Seigneur, qui a fait connaître ces choses éternellement. C’est pourquoi je suis d’avis qu’il ne faut pas inquiéter ceux des Gentils qui se convertissent à Dieu » (Ac 15, 15-19).
Cette interprétation est décisive. Dans sa prudence pastorale, il ajoute : « Qu’on leur écrive seulement qu’ils ont à s’abstenir des souillures des idoles, de l’impureté, des viandes étouffées et du sang » (Ac 15, 19-20), afin de ne pas blesser les sentiments de leurs frères d’origine juive. Les apôtres, les anciens et toute l’Église députèrent alors pour accompagner Paul et Barnabé deux « personnages éminents parmi les frères » (Ac 15, 22), Jude et Silas, « qui étaient eux-mêmes prophètes » (Ac 15, 32). Jude est « surnommé Barsabbas » (Ac 15, 22), patronyme déjà donné à Joseph, « le Juste » présenté au tirage au sort pour remplacer le traître Judas (Ac 2, 23). Il se peut que Joseph et Jude aient été frères. Quant à Silas, il est appelé aussi Sylvain et figure au nombre des collaborateurs de Paul dans la deuxième corinthienne (2 Co 1, 19) et dans les épîtres aux Thessaloniciens (1 Th 1, 1 ; 2 Th 1, 1).
Les apôtres et les anciens leur confièrent une missive contenant les décisions du concile. Cela évitera que Paul puisse être accusé à Antioche d’avoir falsifié le décret apostolique à son avantage. C’est aussi une manifestation supplémentaire des liens de charité, de communion, unissant les Églises. Notons que l’intervention du peuple se limite à l’élection des délégués adjoints à Paul et Barnabé. La lettre synodale, en effet, ne mentionne que les apôtres et les presbytres. Elle est adressée aux « frères d’entre les Gentils qui sont à Antioche, en Syrie et en Cilicie. Ayant appris que quelques-uns des nôtres sont venus, sans aucun mandat de notre part, vous troubler par des discours qui ont bouleversé vos âmes » (Ac 15, 23-24). C’est une reconnaissance implicite de l’extension des troubles au-delà de la seule ville d’Antioche, contrairement à ce que nous pouvions supposer jusque là.
Après un résumé des faits, le dispositif dogmatique et disciplinaire du texte est rédigé en ces termes : « Il a semblé bon au Saint-Esprit. » Par cette formule, les apôtres montrent la claire conscience qu’ils ont de leur autorité et de sa provenance : ils l’ont reçue de Dieu et ils l’exercent en son nom. « Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous de ne vous imposer aucun fardeau au-delà de ce qui est indispensable, à savoir de vous abstenir des viandes offertes aux idoles, du sang, de la chair étouffée et de l’impureté. En vous gardant de ces choses, vous ferez bien » (Ac 15, 28-29). Le caractère obligatoire de ces normes ne provient plus de la Loi mosaïque pour celles qui s’y réfèrent, mais de l’autorité de l’Église qui les fait siennes, sous la direction et l’inspiration de l’Esprit Saint. Le concile « semble conserver la Loi, parce qu’il tire d’elle plusieurs prescriptions, mais en réalité il la supprime, remarque saint Jean Bouche d’Or, parce qu’il n’en prend qu’une partie. Il avait parlé souvent de ces prescriptions, mais il cherchait à respecter la Loi et à établir ces normes, non pas comme venant de Moïse mais des apôtres » [8].
Lecture est faire du décret conciliaire à l’assemblée de « tous les fidèles » réunie à Antioche, « et tous furent heureux de la consolation qu’elle renfermait » (Ac 15, 31). Les perturbateurs de la communauté sont désavoués et les néophytes, libérés du joug de la Loi, laissent exploser leur joie. Notons que les deux parties sont satisfaites de la décision, puisque toute la communauté réunie manifeste sa joie. Jude et Silas s’adressent à plusieurs reprises aux frères, « pour les exhorter et les affermir » (Ac 15, 32), puis, « au bout de quelque temps, les frères les renvoyèrent, avec des souhaits de paix, vers ceux qui les avaient envoyés » (Ac 15, 33).
[1] C’est le cas de J. Dupont, O.S.B., Catholicisme hier aujourd’hui demain, vol. VI, col. 718-719, de H. Galbiato, L’Église des origines dans les Actes des Apôtres et dans leurs écrits, Paris, 1977, p. 40
[2] C’est l’année retenue par R. Minnerath, De Jérusalem à Rome. Pierre et l’unité de l’Église apostolique, Paris, 1994, p. 77.
[3] D. Le Tourneau, Les mots du christianisme…, o.c., p. 156
[4] Voir J. Dupont, O.S.B., « Concile de Jérusalem », Catholicisme…, o.c.
[5] Doctrine d’Arius affirmant que le Fils de Dieu serait d’une substance ou nature distincte de celle du Père, donc ne serait pas Dieu, mais « sorti du néant » (voir D. Le Tourneau, Les mots du christianisme…, o.c., p. 65, 159)
[6] Les Actes des Apôtres avec les commentaires de l’Université de Navarre, Paris, 1999, p. 161
[7] St Jean Chrysostome, Homélies sur les Actes 33, 2
[8] Saint Jean Chrysostome, Homélies sur les Actes 33, 2