À Milet, Paul fait venir les anciens d’Éphèse. Il leur adresse un discours d’adieu émouvant. Il rappelle d’abord « comment, depuis le premier jour où j’ai mis les pieds en Asie, je me suis toujours comporté avec vous, servant le Seigneur en toute humilité, au milieu des larmes et des épreuves que me suscitaient les embûches des Juifs » (Ac 20, 18-19). Cela n’est pas sans évoquer la longue apologie que le même Paul fait de lui-même dans la deuxième corinthienne, qui se termine par cette affirmation : « Sans compter le reste, ce fardeau qui pour moi est perpétuel, le souci de toutes les Églises » (2 Co 11, 28). Il parle ensuite « des chaînes et des persécutions » qui l’attendent à Jérusalem (Ac 20, 23) et dont l’Esprit l’instruit sans qu’il puisse savoir exactement de quoi il en retourne. Mais, assure-t-il, « je n’en tiens aucun compte, et je n’attache pour moi aucun prix à la vie, pourvu que j’achève ma course et que j’accomplisse le ministère que j’ai reçu du Seigneur Jésus, d’annoncer la bonne nouvelle de la grâce de Dieu » (Ac 20, 24).
Vers la même époque, Paul peut écrire à son disciple Timothée, évêque d’Éphèse, « j’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi » (2 Tm 4, 7). Et, aux Philippiens, « pour moi, vivre, c’est le Christ, et mourir est un gain » (Ph 1, 21). Phrase admirable d’abandon entre les mains de Dieu ! Déclaration qui montre que notre vie est tout entière tendue vers l’au-delà, vers l’éternité, que nous attendons « comme le cerf soupire après les eaux courantes » (Ps 41, 2). Répétons avec le psalmiste : « Mes yeux te cherchent, je cherche ton visage, ô mon Dieu » (Ps 27, 8). Il est bon au cours d’une retraite de penser aux fins dernières — nous avons déjà évoqué brièvement le jugement personnel et final, le ciel, le purgatoire et l’enfer —, mais il convient de penser de façon positive à notre rencontre ultime avec Dieu. C’est, si nous y réfléchissons bien, la seule chose qui compte dans notre vie, celle à laquelle nous aspirons de tout notre être, même si nous n’en sommes pas toujours conscient. Mais nous ne souhaitons pas demeurer indéfiniment dans ce monde que l’Écriture qualifie de « vallée de larmes » (Ps 84, 7). Nous voulons aller au ciel. la mort en est le passage obligé. Elle n’est donc pas une catastrophe, mais la délivrance !
Il n’en reste pas moins que ce détachement de lui-même de la part de Paul est exemplaire. Seul doit compter le désir d’accomplir la volonté de Dieu. Nous avons en mémoire les premiers mots de Benoît XVI le jour où il inaugurait son pontificat : « En ce moment, je n’ai pas besoin de présenter un programme de gouvernement. […] Mon vrai programme de gouvernement est de ne pas faire ma volonté, de ne pas poursuivre mes idées, mais de me mettre à l’écoute, avec toute l’Église, de la parole et de la volonté du Seigneur et de me laisser guider par lui. [1] » Nous devrions tous pouvoir en dire autant, à notre place et avec le rôle qui nous est imparti dans la construction d’une société chrétienne. Nous devrions pouvoir répéter avec le Seigneur : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre » (Jn 4, 34).
Pensons-y maintenant dans notre prière, dans la solitude accompagnée de notre cœur, accompagnée par la présence de Dieu. Demandons-nous si nous n’avons pas à rectifier parfois notre intention, car, au lieu de la volonté de Dieu, nous chercherions en réalité à faire notre volonté, nous voudrions imposer nos plans à Dieu… et aux autres. Nous pouvons faire nôtre la prière de l’aveugle de Jéricho. À notre Seigneur qui lui demande : « Que veux-tu que je fasse pour toi », il répond : Domine, ut videam ! « Seigneur, que je voie ! » (Lc 18, 41-42). Que je voie quelle est ta volonté sur moi, ce que tu attends de moi hic et nunc, maintenant, pendant cette retraite, et que, avec l’aide de ta grâce, je m’applique de mes cinq sens à le mettre en pratique. Seigneur, je veux ce que tu veux, je le veux comme tu le veux, je le veux où tu le veux, je le veux quand tu le voudras, je le veux de la façon dont tu le voudras, je le veux parce que tu le veux !
[1] Benoît XVI, Discours pour l’inauguration de son pontificat, 24 avril 2005