Nous savons que le jugement a lieu en deux temps et que la solution finale est bien le résultat de notre libre choix, formulé tout au long de notre vie jusqu’à l’instant de notre comparution devant celui que saint Paul appelle le « juste juge » (2 Tm 4, 8). La mort met un terme au « temps ouvert à l’accueil ou au rejet de la grâce divine manifestée dans le Christ ». À ce moment-là, dit encore le Catéchisme, « chaque homme reçoit dans son âme immortelle sa rétribution éternelle dès sa mort en un jugement particulier qui réfère sa vie au Christ, soit à travers une purification, soit pour entrer immédiatement dans la béatitude du ciel, soit pour se damner immédiatement pour toujours » [1]. En aucun cas il ne s’agit d’une localisation, d’entrer en un lieu de félicité ou de malheur. La purification est un état de l’âme insuffisamment débarrassée de ses péchés et de la peine due pour eux et qui a besoin d’expier davantage. Le ciel est un état de bonheur suprême et définitif dans une vision en face à face (voir 1 Co 13, 12) de Dieu. L’enfer est l’état de « séparation éternelle d’avec Dieu en qui seul l’homme peut avoir la vie et le bonheur pour lesquels il a été créé et auxquels il aspire » [2]. C’est un état d’auto exclusion de Dieu.
Nous attendons le dernier avènement du Christ, son retour glorieux, escorté de tous les anges. « Devant lui seront rassemblées toutes les nations, et il séparera les gens les uns des autres, tout comme le berger sépare les brebis des boucs. Il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche […]. Et ils s’en iront, ceux-ci à une peine éternelle, et les justes à la vie éternelle » (Mt 25, 32.46). Ce n’est pas un nouveau jugement ou une dernière chance qui nous serait donnée : notre sort est définitivement scellé à notre mort. Mais c’est la récapitulation de toute l’histoire humaine et, comme le souligne aussi le Catéchisme de l’Église catholique, « c’est face au Christ qui est la vérité que sera définitivement mise à nu la vérité sur la relation de chaque homme à Dieu. Le Jugement dernier révélera jusque dans ses ultimes conséquences ce que chacun aura fait de bien ou omis de faire durant sa vie terrestre »[[Ibid., n° 1039]]. La justice et la miséricorde de Dieu éclateront au grand jour et si, comme nous l’espérons de la Bonté de Dieu, nous sommes entrés dans sa paix, nous rendrons grâce à Dieu, émerveillés de découvrir l’étendue de son Amour. La condamnation des pécheurs non repentis nous apparaîtra pleine de sagesse et nous n’en éprouverons aucune tristesse, car celle-ci serait incompatible avec l’état de bonheur propre au ciel et de perfection qu’il suppose.
Mis en face des réalités éternelles et des fins dernières, profitons de cette retraite pour faire un examen de conscience approfondi, afin de nous préparer à une bonne confession quadragésimale, que nous pourrons faire à notre retour dans notre paroisse. Dans les temps de recueillement et de méditation que prévoit l’horaire de la retraite, je me tiendrai dans à la disposition de celles et ceux d’entre vous qui souhaiteraient recevoir ici le sacrement de la réconciliation. L’examen de conscience est une tâche à reprendre toujours, car nous nous connaissons mal et nous avons une fâcheuse tendance à nous prendre en pitié et à nous justifier. « À mon avis, écrivait sainte Thérèse d’Avila, nous ne finissons jamais de nous connaître si nous ne tâchons pas de connaître Dieu. Regardant sa grandeur, allons vers notre bassesse, regardant sa propreté, nous verrons notre saleté ; considérant son humilité, nous verrons combien nous sommes loin d’être humbles », et nous nous remplirons de saints désirs de nous corriger, avec l’aide de la grâce de Dieu.
« Pierre parlait encore, lorsque le Saint-Esprit descendit sur tous ceux qui écoutaient la parole » (10, 44). Saint Paul dira : « Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (1 Co 3, 16). Nous avons beaucoup eu l’occasion de considérer l’action du Saint-Esprit au long de cette année. Mais, saint Josémaria pouvait relever avec regret que « le Paraclet est malheureusement, pour certains chrétiens, le Grand Inconnu : un nom que l’on prononce, mais qui n’est pas Quelqu’un, une des trois Personnes du Dieu unique, avec laquelle on parle et dont on vit » [3], alors que le fait de le fréquenter personnellement ne peut que renforcer notre participation à la vie divine, notre bonne « divinisation ». Nos frères d’Orient parlent de théopoïèse ou de déification, c’est-à-dire « l’action de se perdre en Dieu, ne faire qu’un avec lui, objectif ultime de la vie chrétienne » [4]. Parlant des hommes, le Seigneur lui-même n’a-t-il pas prié son Père, au soir du Jeudi Saint, « afin qu’ils soient un comme nous sommes un » (Jn 17, 22) ? « Comment douter que la proximité de Dieu […], son « immédiateté », produise une véritable révolution intérieure dans l’âme, qui se dépouille du vieil homme pour se revêtir de l’homme nouveau (voir Ep 4, 22-24), cesse d’être charnelle pour devenir spirituelle (voir 1 Co 3, 1-3), pour aboutir à une « seconde nature » […]. Avec Jésus « nous serons renouvelés et divinisés dans les structures de notre âme, nous dit saint Anastase du Sinaï, et, avec lui, comme lui, nous serons transfigurés, divinisés pour toujours et transférés dans les hauteurs [5] ». [6] ».
« Alors Pierre dit : « Peut-on refuser l’eau du baptême à ces hommes qui ont reçu le Saint-Esprit aussi bien que nous ? » Et il commanda de les baptiser au nom du Seigneur Jésus-Christ » (10, 47-48). Nous rencontrerons d’autres baptêmes collectifs. Ce sera le cas de Lydie, « une marchande de pourpre, de la ville de Thyatire, craignant Dieu » (Ac 16, 14). Écoutant la prédication de Paul, « le Seigneur lui ouvrit le cœur » et elle reçut le baptême, « elle et sa famille » (Ac 16, 14.15). C’est aussi le cas du geôlier de Paul et de Silas, une fois ceux-ci miraculeusement libéré de leurs chaînes : « Ils lui annoncèrent la parole de Dieu, ainsi qu’à tous ceux qui étaient dans la maison. […] Aussitôt après il fut baptisé, lui et tous les siens » (Ac 16, 32-33). Comme il est fort probable que ces familles comprenaient des enfants et des nouveau-nés, l’Église trouve dans cette pratique apostolique le fondement de son enseignement sur la nécessité de baptiser les enfants [7]. Le droit de l’Église établit que « les parents sont tenus par l’obligation de faire baptiser leurs enfants dans les premières semaines » [8].
Nous pouvons remarquer que la conversion de Corneille et des siens a été facilitée par l’ouverture d’esprit de Pierre, qui n’avait pas hésité à descendre « à Joppé chez un corroyeur nommé Simon » (Ac 9, 43), faisant fi des interdictions judaïques de se mêler aux païens sous peine de contracter une impureté légale. Ce n’est pas le corroyeur qui se convertit, même si nous pouvons supposer que la présence de Pierre chez lui n’a pas pu lui être indifférente, mais c’est de cela dont Dieu se sert pour réaliser son œuvre évangélisatrice, en apparaissant à Corneille et lui disant d’aller chercher Pierre chez ledit Simon.
Les nouveaux chrétiens laissent éclater leur joie, puis « ils prièrent [Pierre] de reste quelques jours » (Ac 10, 48), ce qui lui permet de parfaire leur instruction. Mais nous pouvons nous attendre à des réactions mitigées de la part des chrétiens d’origine juive. Elles ne vont pas manquer et feront l’objet de notre prochaine réflexion.
[1] Catéchisme de l’Église catholique, n° 1021-1033
[2] Ibid., n° 1035
[3] Saint Josémaria, Quand le Christ passe, n° 133.
[4] D. Le Tourneau, Les mots du christianisme. Catholicisme — Orthodoxie — Protestantisme, Paris, 2005, p. 618
[5] Saint Anastase du Sinaïe, Homélie pour la Transfiguration
[6] D. Le Tourneau, L’unité de vie et la sainteté dans la vie ordinaire d’après le bienheureux Josémaria Escriva, Paris, 1999, p. 36
[7] Voir Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction sur le baptême des petits-enfants, 20 octobre 1980
[8] Code de Droit canonique, c. 867 § 1. Voir Code des canons des Églises orientales, c. 686 § 1, où il est précise : « Au plus tôt selon la coutume locale. »