Nous ne pouvons pas suivre en détail les épisodes, particulièrement denses, de la vie de Paul à Jérusalem que saint Luc décrit. Soulignons seulement qu’au moment où le centurion va le faire flageller, Paul fait état de sa condition de citoyen romain. Il ne le fait certainement pas pour échapper à la douleur, car il a montré qu’il est prêt à l’affronter et que peu lui en chaud. Il a bien assimilé la béatitude suivante : « Bienheureux serez-vous quand on vous insultera, qu’on vous persécutera et qu’on vous calomniera de toute manière à cause de mon nom ! Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux » (Mt 5, 11-12). En agissant de la sorte, Paul nous montre que nous devons savoir faire usage de nos droits de citoyen pour une bonne cause. De même Paul en appellera-t-il à César, préférant le tribunal impérial auquel sa citoyenneté lui donne droit à celui des Juifs dont l’impartialité est plus que douteuse. Remarquons qu’en usant de ses droits, il coopère indirectement à l’accomplissement de la volonté de Dieu qui avait prévu de le conduire à Rome.
Arraché à un complot des Juifs, Paul est transféré à Césarée, où il comparaît devant le gouverneur Félix. « Deux ans s’écoulèrent ainsi et Félix eut pour successeur Porcius Festus » (Ac 24, 27). Paul n’est pas arrivé à convertir Félix qui fut effrayé d’entendre l’Apôtre lui « parler de justice, de tempérance et de jugement à venir » (Ac 24, 25). Cela ne décourage pas saint Paul, qui recommence à prêcher devant le roi Agrippa. Qu’il soit incompris ne l’amène nullement à diminuer les exigences du christianisme pour essayer d’obtenir des conversions au rabais. Ce ne serait pas la bonne voie. Nous ne pouvons pas changer notre foi d’un pouce ni en retrancher quoi que ce soit, même pour plaire ou pour amadouer. « Celui qui aura violé un des plus petits commandements et aura enseigné aux autres faire de même sera tenu pour le plus petit dans le royaume de Dieu » (Mt 5, 19). Deux ans c’est long, surtout quand on est tenaillé par l’urgence de l’évangélisation : Caritas Christi urget nos, « l’amour du Christ nous presse » (2 Co 5, 14), « oui, malheur à moi si je ne prêchais pas l’Évangile » (1 Co 9, 16). Mais Dieu a son temps qui n’est pas le nôtre et, en tout état de cause, rien n’est perdu, tout porte son fruit en temps voulu, car « il y a un moment, un temps pour chaque chose sous le ciel » (Qo 3, 1), un temps pour semer et un temps pour récolter. Nous aussi, nous avons à annoncer l’Évangile, à faire de l’apostolat « à temps et à contre-temps » (2 Tm 4, 2), comme le précisera l’Apôtre des Gentils, comme nous le voyons le faire ici. « L’apostolat, nous dit saint Josémaria, c’est l’amour de Dieu, qui déborde, en se donnant aux autres. La vie intérieure suppose une union croissante avec le Christ, parle pain et la Parole. Et le désir d’apostolat est la manifestation exacte, appropriée et nécessaire, de la vie intérieure » [1]
Ce nouvel effort de conversion auprès d’Agrippa est sur le point de déboucher favorablement. Le roi dit à Paul : « Peu s’en faut que tu ne me persuades de devenir chrétien » (Ac 26, 28). Mais il résiste à la grâce qu’il a entrevue. C’est le terrible jeu de la liberté humaine qui peut refuser de se laisser entraîner par l’amour de Dieu. Sans doute Agrippa manquait-il des dispositions intérieures morales nécessaires pour accepter la parole de Dieu et prendre la décision de changer de mode de vie. C’est le gros problème auquel nous nous heurtons souvent dans l’apostolat. C’est la difficulté que Paul rencontre. Mais le Seigneur lui-même, tout Dieu qu’il fut, s’y est heurté, lui aussi, par exemple quand le jeune homme riche refusa de vendre ses biens pour le suivre et, nous dit l’évangéliste, « s’en alla tout triste » (Mt 19, 22).
Il est décidé que Paul aille « par mer en Italie » (Ac 27, 1). Ce n’est pas sans péril. En effet, contre l’avis de Paul, le capitaine et l’équipage du navire sur lequel il a embarqué poursuivent la navigation en hiver. Une violente tempête se déchaîne et « pendant plusieurs jours, ni le soleil ni les étoiles ne se montrèrent » (Ac 27, 20). Un ange de Dieu apparaît à Paul et l’assure que tout se passera bien étant donné qu’il doit comparaître devant César. « Courage donc, mes amis ; car j’ai confiance en Dieu qu’il en sera comme il m’a été dit » (Ac 27, 25). Nous devons toujours garder confiance en Dieu qui « écrit droit avec des lignes courbes », comme saint Jean de la Croix l’affirmait. À toute heure et en toutes circonstances, nous devons rendre grâces à Dieu, « car le Puissant a fait pour moi de grandes choses », comme le chante la Vierge Marie (Lc 1, 49). « Je veux louer Yahvé de tout mon cœur dans la réunion des justes et dans l’assemblée, dit le psalmiste. Grandes sont les œuvres de Yahvé, dignes de l’étude de tous ceux qui s’y complaisent. Son œuvre n’est que splendeur et majesté, et sa justice subsiste à jamais. Il a laissé un souvenir de ses merveilles. Yahvé est miséricordieux et compatissant. Il a donné de la nourriture à ceux qui le craignent ; et il se souvient toujours de son alliance. Il a fait connaître à son peuple la puissance de ses œuvres » (Ps 111, 1-6). « Le salut, la puissance et la gloire sont à notre Dieu, car ses jugements sont conformes à la vérité et à la justice. […] Louez notre Dieu, vous tous, ses serviteurs, et vous qui le craignez, petits et grands. […] Car le Seigneur, notre Dieu, le Tout-Puissant, a pris possession de la royauté. Réjouissons-nous, soyons dans l’allégresse et rendons-lui gloire » (Ap 19, 1-2.5.6-7).
Après un naufrage sur l’île de Malte, c’est enfin l’arrivée sur le continent, à Pouzzoles, très précisément (Ac 28, 13), où Paul et ses compagnons passent sept jours en compagnie « des frères ». Puis les frères de Rome vinrent à leur rencontre « jusqu’au Forum d’Appius et aux Trois-Tavernes » (Ac 28, 15). Le terme grec utilisé, apantêsis, est un « terme technique pour la réception officielle d’un dignitaire récemment arrivé » [2], ce qui montre l’importance accordée à juste titre à l’Apôtre des Gentils, et ce qui met aussi Paul à l’abri des « faux frères » en butte auxquels il s’était jadis trouvé (voir 2 Co 11, 26).
[1] Saint Josémaria, Quand le Christ passe, n° 122
[2] L. Pirot-A. Clamer, La Sainte Bible, t. XI, nouvelle édition révisée, Paris, 1951, p. 351