L’événement que nous venons de retracer peut nous aider à réfléchir notre acceptation des décisions de l’Église. Nous sommes tous tenus d’être unis à l’autorité ecclésiastique et d’adhérer à ses enseignements.
La question du degré d’adhésion peut se poser et, de fait, est posée par certains, notamment par des théologiens. Car il existe un magistère ordinaire, qu’il soit universel, c’est-à-dire émanant du pape et du collège des évêques ou d’un dicastère de la curie romaine, ou qu’il soit non universel, provenant du pape, par exemple sous forme de lettre encyclique, de chaque évêque ou de conciles particuliers. Le magistère peut revêtir une forme extraordinaire ou solennelle, quand le pape définit une vérité ex cathedra, « de [sa] chaire », c’est-à-dire en tant que docteur de l’Église et vicaire du Christ, ou quand un concile œcuménique définit une vérité révélée. Il existe enfin un magistère intermédiaire, du pape qui confirme ou réaffirme le magistère ordinaire et universel (ce que Jean-Paul II, par exemple, a fait avec l’encyclique Evangelium vitæ à propos de l’avortement et de l’euthanasie), et du collège des évêques, dispersés dans le monde et unis au pape, s’accordant sur un point de doctrine à considérer comme défini. Le magistère extraordinaire et intermédiaire est qualifié d’authentique et est infaillible. Le magistère ordinaire est simplement authentique.
Lorsque nous sommes en présence d’un enseignement infaillible , l’adhésion demandée est du domaine de la foi. Le code de droit canonique prescrit que « on doit croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la parole de Dieu écrite ou transmise par la tradition, c’est-à-dire dans l’unique dépôt de la foi confié à l’Église, et qui est en même temps proposé comme divinement révélé par le magistère solennel de l’Église ou par son magistère ordinaire et universel, à savoir ce qui est manifesté par la commune adhésion des fidèles sous la conduite du magistère sacré ; tous sont donc tenus d’éviter toute doctrine contraire » [1]. Un deuxième paragraphe a été ajouté à ce canon en 1998 [2]. Il est rédigé en ces termes : « On doit fermement accueillir et garder également toutes et chacune des choses qui sont proposées définitivement par le magistère de l’Église quant à la fois et aux mœurs, c’est-à-dire ces choses qui sont requises pour garder saintement et exposer fidèlement ce même dépôt de la foi ; s’oppose donc à la doctrine de l’Église catholique celui qui refuse ces mêmes propositions que l’on doit garder définitivement » [3].
Le motu proprio qui ajoute cette disposition donne comme exemple des choses que nous devons « garder définitivement », et qui sont liées à la Révélation par une relation historique ou par un lien logique, la portée de l’infaillibilité pontificale, le fait que l’ordination au presbytérat soit réservée aux prêtres, la gravité de l’euthanasie, l’illicéité de la prostitution et de la fornication, la légitimité de l’élection du pape ou de la célébration d’un concile œcuménique, la canonisation d’un saint qui, nous le savons, engage l’infaillibilité pontificale, la déclaration de Léon XIII sur l’invalidité des ordinations anglicanes.
Mais que penser du magistère simplement authentique ? Pouvons-nous nous en écarter ? Il n’a pas manqué de théologiens pour faire valoir un prétendu « droit au désaccord », au dissent en anglais, même envers le magistère infaillible. La réponse nous est donnée par le législateur suprême de l’Église : « Ce n’est pas vraiment un assentiment de foi, mais néanmoins une soumission religieuse de l’intelligence et de la volonté qu’il faut accorder à une doctrine que le Pontife Suprême ou le collège des évêques énonce en matière de foi ou de mœurs, même s’ils n’ont pas l’intention de la proclamer par un acte décisif ; les fidèles veilleront donc à éviter ce qui ne concorde pas avec cette doctrine » [4]. Nous ne sommes plus ici dans le domaine de la foi, mais nous restons dans celui de la vérité. Or, la vérité est ou n’est pas. S’il s’agit de vérité, nous n’avons pas qualité pour exercer un tri et ne retenir que ce qui nous convient. D’où l’importance de cette soumission de l’intelligence et de la volonté, qui demande donc une adhésion non seulement externe mais aussi interne. L’adhésion ne vise pas la personne du pape ou de l’évêque, mais la vérité qu’il expose. Cet obsequium de la volonté et de l’intelligence est immédiatement commandé par la volonté à l’intellect afin que celui-ci l’oriente vers la doctrine enseignée. Il faut donc y voir une affirmation de la liberté, en vertu de laquelle le chrétien choisit ce qu’il doit faire pour être cohérent avec sa foi [5]. L’obsequium demandé est qualifié de religiosum, c’est-à-dire qu’il s’inscrit nécessairement dans le cadre de la foi et de la communion que tout baptisé doit garder [6]. Conservons à l’esprit cette affirmation de notre Seigneur à ses apôtres : « Celui qui vous écoute, c’est moi qu’il écoute, et celui qui vous rejette, c’est moi qu’il rejette ; or celui qui me rejette, rejette celui qui m’a envoyé » (Lc 10, 16-17).
L’adhésion au magistère est affaire d’amour de l’Église et de son chef visible et, en dernière instance, de sa tête invisible, notre Seigneur Jésus-Christ. « Nous avons reconnu et nous avons cru que l’amour de Dieu est parmi nous », écrit saint Jean (1 Jn 4, 16). C’est ce que Benoît XVI nous rappelle dans le propos liminaire de son encyclique [7]. Et il est parmi nous en la personne du Pontife romain et en l’Église, l’Épouse immaculée du Fils de Dieu. Par conséquent, notre vie prend tout son sens dans l’Amour de Dieu. « Comme Dieu nous a aimées le premier (voir 1 Jn 4, 10), souligne encore Benoît XVI, l’amour n’est plus seulement un commandement, mais il est la réponse au don de l’amour par lequel Dieu vient à notre rencontre » [8].
Là où l’Esprit d’Amour agit, Marie n’est pas loin. En ce jour que l’Église consacre traditionnellement à honorer la Sainte Vierge en souvenir de sa fidélité du Samedi saint, demandons-lui de nus apprendre à aimer comme elle a su aimer, Marie nous conduit à une fréquentation « amicale » du Christ, Elle nous fait entrer de manière naturelle dans la vie du christ et pour ainsi dire « respirer » ses sentiments. Le bienheureux Bartolo Longo dit à ce propos : « De même que deux amis qui retrouvent souvent ensemble finissent par se ressembler même dans la manière de vivre, de même, nous aussi, en parlant familièrement avec Jésus et avec la Sainte Vierge, par la méditation des mystères du rosaire, et en formant ensemble une même vie par la communion, nous pouvons devenir, autant que notre bassesse le permet, semblables à eux et apprendre par leurs exemples sublimes à vivre de manière humble, pauvre, cachée, patiente et parfaite » [9] et, ajouterais-je, à devenir des experts en amour vrai.
[1] Code de Doit Canonique, c. 750 § 1. Le CCEO, c. 598, s’exprime en termes identiques
[2] Jean-Paul II, motu proprio Ad tuendam fidem, 18 mai 1998, A.A.S. 90 (1998), p. 457-461
[3] Code de Doit Canonique, c. 750 § 1. Un paragraphe identique a été ajouté au c. 598 du CCEO
[4] Code de Droit Canonique, c. 752 ; CCEO, c. 599
[5] oir U. BETTI, « L’ossequio al magistero pontificio « non ex cathedra » nel n. 25 della « Lumen gentium », Antonianum 62 (1987), p. 454
[6] Voir c. 209 § 1 CIC 1983 ; c. 12 § 1 CCEO
[7] Voir Benoît XVI, enc. Deus caritas est, n° 1
[8] Benoît XVI, ibid.
[9] Bx Bartolo Longo, cité par Jean-Paul II, lettre ap. Rosarium Virginis Mariæ, n° 15